La polémique qui enfle sur la désormais affaire Primera m’a contraint à lire studieusement les 57 pages du contrat liant Primera à mon pays pour éclairer ma religion. J’ai dû relire plusieurs fois des passages entiers pour être sûr d’avoir bien compris, mobilisant toute mon expertise en herméneutique. Ça y est, mon opinion est faite : la RDC a été roulée dans la farine une nième fois par ceux-là même chargés de veiller à ses intérêts stratégiques.
Ce feuilleton Primera me rappelle cette sage parole de David Lodge dans La vie en sourdine que je reprends en titre : la surdité est une sorte d’avant-goût de la mort. Un député de la nation, fils du Sud-Kivu, s’est élevé récemment contre la joint-venture congolo-emirati en adressant une question écrite au gouvernement à l’assemblée nationale. L’élu du peuple entendait veiller à garantir les intérêts de l’Etat et du peuple congolais en s’offusquant d’un contrat qui brade les ressources minières du pays en octroyant des avantages indus à une société au capital ridicule de 20 000 USD pour une durée longue de 25 ans dans une situation de quasi-monopole d’exportation de l’or, notamment.
Sa voix s’est fait l’écho inattendu d’un héraut mondial, héros des opprimés, le Professeur Denis Mukwege, gynécologue de Panzi, dont le combat pour les droits humains et, plus spécialement, les droits des victimes des violences sexuelles, lui a valu le Prix Nobel de la Paix en 2018. Le médecin de Panzi a commenté les propos de l’élu du peuple sur le contrat primant Primera pour ses 20.000 dollars de capital apporté en RDC. Mal lui en prit. Il a déclenché le courroux de la nomenclatura gouvernementale qui, au lieu de préparer et donner sa réponse au député à l’hémicycle, a déployé son duo ministériel flanqué d’un conseiller présidentiel pour répondre aux journalistes dans une arène inconnue des parlementaires. Répondre à une question qui n’a pas été posée, à des gens qui ne vous ont pas interrogé et dans un lieu où on n’est pas attendu, relève de la surdité et de la cécité.
Cette descente dans l’arène suscite des interrogations tant sur la forme que le fond. Sur la forme, on peut relever : le format choisi, une conférence de presse au lieu d’une séance de questions-réponses ; le lieu choisi, une salle de conférence au lieu de l’hémicycle ; les acteurs performatifs, deux ministres et un directeur de cabinet adjoint présidentiel sans le ministre des mines encore moins le premier ministre comme chef de l’exécutif ; le public choisi, un parterre des professionnels des médias au lieu des députés nationaux. Je concède. Ce ne fut qu’une séance (ouverte au public) de répétition de la troupe théâtrale avant la représentation de la pièce devant la représentation nationale. Pour s’assurer que les rôles sont bien maitrisés et seront bien joués. Ce qui expliquerait probablement la présence inattendue d’un intrus, tel un cheveu dans la soupe, le conseiller artistique du palais de la République.
Sur le fond, c’est encore plus stupéfiant. Les incohérences des chiffres des exportations d’or au Sud-Kivu en 2022 (27kg ? 38 ? 40kg ? etc.) : quel chiffre retenir ? Les montants dépensés par l’entreprise (plusieurs millions de dollars américains) sont colossaux en comparaison au capital ridicule de l’entreprise (quelques 20 mille dollars américains) : comment une entreprise valant 200000 USD a-t-il pu mobiliser en un clic autant de millions ? d’où proviennent ces millions inattendus ? L’IGF au secours pour tracer les fonds dépensés. Une fiscalité trop généreuse : 0,25% de taxe par an ! Des exonérations abyssales et historiques pour 25 ans (toute une génération !) Comment et pourquoi accorder des exonérations sur 25 ans à une petite entreprise valant 20.000USD (pas un seul Congolais ne pouvait réunir et investir cette somme ?) alors que nos pauvres vieilles mères sont astreintes à payer journalièrement une taxe de 500 à 1000 FC, soit soit de 6USD à 12USD par mois pour (re)vendre leurs produits de base (feuilles de manioc, bananes, manioc, etc.) dans le cadre de la survie ? Quelle justice sociale pour l’entrepreneuriat local ! C’est du béton armé !
Prétendre que le PN est soutenu par les tout puissants bienpensants qui n’ont jamais condamné le Royaume de l’Est et alléguer que dénoncer la Joint Venture équivaut à encourager le trafic et la fraude des mines vers ce Royaume maudit des Congolais est un grave raccourci de surdité et de cécité. L’hôpital se moque vraiment et franchement de la charité ! Et pourtant, depuis des décennies, le Dr Mukwege se bat, comme Don Quichotte, pour la fin des violences, pour le tribunal pénal international visant justement à poursuivre ces trafiquants et arrêter l’impunité, pour le rapport Mapping, souvent au péril de sa vie. Voilà vilipendé un homme qui a tout pour mener une vie tranquille, à n’importe quel bel endroit de la planète, qui vit dans le dénouement total, dans un cadre spartiate, apportant une prise en charge holistique aux plus démunis et aux plus vulnérables. 20000 foyers bénéficient annuellement de son aide à la réinsertion socioéconomique !
Le pire du cynisme, c’est de voir ce fils de pasteur et pasteur pentecôtiste accusé ou même soupçonné d’être un instrument des Occidentaux par le bétonisme qui a longtemps magnifié l’Occident, multipliant des périples à grand renfort et de saignée des finances publiques pour mendier l’aumône qui n’est toujours pas encore arrivé dans l’obole de la veuve. C’est inadmissible et hallucinant, surtout quand on sait que le pays a même été dirigé pendant des années par un marteau, représentant de la première puissance occidentale (et mondiale d’ailleurs), le pays de l’autre parent de notre mère que nous appelons très affectueusement Oncle Sam. Que l’on attribue au fils de Kaziba, médecin directeur de Panzi, le Prix Nobel de médecine en lui reconnaissant au passage le droit de soigner ses proches, passe encore même si cela me dépasse.
Le sommet de la pyramide nationale serait-il alors frappé d’une grave surdité-cécité doublée d’amnésie ? Il eût mieux valu qu’il le soit plutôt et surtout de la perte de la parole comme le Taiseux, un mur muet, qui ne retrouve que trop rarement la parole.
N’avait-il préconisé de ne parler que lorsque l’on est sûr et certain que ses mots sont plus forts que le silence ? Le sommet semble pourtant avoir été à son école avec assiduité et avoir bien assimilé ses leçons au point de les appliquer de main de maître aujourd’hui et de faire pâlir le moniteur ou le fabricateur. Les maux dont souffre le sommet de la pyramide semblent très profonds et nombreux.
Dès lors, je comprends mieux l’appel à la rescousse des millions de Congolais au médecin qui répare les femmes pour prendre en soins intensifs le grand malade Congo et lui redonner sa dignité souillée et perdue. Les médecins se sont toujours intéressés à la politique. C’est, en effet, leur vocation de venir en aide à leurs semblables et de tenter, en toutes circonstances, d’améliorer leur sort. Leur participation à la vie politique a pris les caractères les plus divers au fil des siècles. Les médecins sont souvent d’excellents hommes d’Etat pétris d’humanisme. On peut citer l’Argentin Ernesto Che Guevara, le Chilien Salvador Allende, le Martiniquais Frantz Fanon, le
Sud-Africain Abdullah Abdurahman, le Malawite Kamuzu Banda, les Français PierreJoseph-François Bodin et Georges Clemenceau, le Haïtien François Duvalier, etc. Ils n’ont pas semé la confusion dans l’esprit de leurs compatriotes ni même des hommes. Il y a pourtant, ici dans ce dossier, une confusion de genre ou de taille : le PCA de l’or primé serait un conseiller financier d’un membre du commando chargé de neutraliser le soldat Mukwege. On murmure dans la montagne sacrée que l’aventure de l’or congolais contestée par le député de la vie (que l’on a presque oublié tant les tirs sont centrés sur une cible principale qui devrait pourtant être secondaire) serait le résultat d’un carnet d’adresses d’un frère capricieux et sanguinaire en froid, que dis-je ?, en colère à telle enseigne qu’il n’a pas hésité à tirer sur tout ce qui bouge dans certaines terres minières orientales. Fauchant de nombreuses vies.
En revanche, les tirs croisés du trio, loin d’éclairer l’opinion publique sur le contrat boudé, ont plutôt rajouté à la confusion, témoignant d’une volonté de distraction et de dissimulation, voire d’une certaine ignorance (du sujet du jour, de l’auditoire, de l’examinateur, de la question de l’épreuve). Sous d’autres cieux, à une certaine époque, d’aucuns auraient parlé de trois mousquetaires. Cette ignorance résulte d’une surdité entretenue à dessein pour brouiller et occulter la vérité.
Pire, d’aucuns réalisent mieux que la distance du sommet de la pyramide à l’égard de la vérité est proportionnelle à sa surdité aux pauvres, au petit peuple d’abord. C’est ici le lieu de citer une figure des Lumières, Victor Hugo, même s’il ne fait pas partie de mes préférés, lorsqu’il s’adressait à Ferdinand Berthier le 25 novembre 1845 en ces termes : « Qu’importe la surdité de l’oreille quand l’esprit entend ? La seule surdité, la vraie surdité, la surdité incurable, c’est celle de l’intelligence. »
On aurait cru que les forces spéciales projetées sur la première ligne de front rougiraient d’avoir fait feu nourri à la kalachnikov sur un mur bouclier de béton armé épais. Que non ! La sagesse populaire renseigne : « qui n’a rien eu, n’a rien perdu, et qui n’a rien perdu, n’a rien à regretter. » Or le sourd et l’aveugle n’ont jamais entendu ni vu, donc ils n’ont perdu ni l’ouïe ni la vue. Par conséquent, ils ne peuvent regretter ni l’une ni l’autre. Ils ne se repentiront jamais, même dans leur dernière demeure.
La surdité, surtout doublée de cécité, est toujours morbide en définitive, quoi qu’en dise l’opportuniste enrichi, engraissé par des contrats juteux et encrassé dans sa tour d’ivoire.
Ainsi pensé et écrit à Kisangani, en ce dernier jour du mois d’août 2023 Par un citoyen intellectuel libre
Alphonse Maindo