L’organisme britannique de surveillance des activités des sociétés, RAID et le CAJJ, un centre d’aide juridique congolais, spécialisé dans les droits du travail, ont en commun réalisé une étude de calcul actualisé du « salaire de subsistance », en appliquant la méthodologie du panier de dépenses minimum – Minimum Expenditure Basket, MEB – élaborée par les Nations Unies et les agences humanitaires.
Cette nouvelle étude sur le « salaire de subsistance » publiée jeudi 29 mars, révèle qu’alors que le cobalt est considéré comme un minerai indispensable pour la fabrication des batteries lithium-ion qui alimentent les véhicules électriques (VE) et que plus de 70 % du cobalt mondial est extrait à Kolwezi, dans la province du Lualaba, en République démocratique du Congo, les travailleurs congolais des plus grandes mines industrielles de cobalt du monde en République démocratique du Congo, essentiels à la transition énergétique, basculent de plus en plus dans la pauvreté.
« Partout dans le monde, les entreprises engagées dans la transition énergétique semblent réaliser des bénéfices records, tandis que les travailleurs congolais qui mettent le cobalt à la disposition des marchés mondiaux s’enfoncent de plus en plus dans la pauvreté. Le passage aux énergies propres doit être une transition juste, pas une transition qui impose aux travailleurs congolais des conditions de vie de plus en plus désastreuses », a déclaré, Josué Kashal, directeur du CAJJ.
Selon ce nouveau calcul du coût de la vie à Kolwezi, chef-lieu de la province du Lualaba, réalisé par RAID et CAJJ, le niveau minimum du salaire de subsistance est passé à 480 dollars américains par mois, soit une hausse de 78 dollars américains par rapport à l’estimation précédente datant de 2021. En même temps, l’inflation mondiale et la crise du coût de la vie ont multiplié par plus de six le prix des cultures de base telles que le manioc et le maïs, tandis que le prix des légumes, de la viande et du poisson a grimpé de 50 %.
« Les prix des produits de base sur les marchés de Kolwezi ont considérablement augmenté en raison des turbulences économiques mondiales, mais les salaires versés aux travailleurs des mines industrielles de cobalt en RD Congo sont dans l’ensemble restés stables », a-t-il renchéri.
RAID et le CAJJ ont appliqué cette même méthodologie du panier de dépenses minimum en 2021, lorsqu’ils ont publié le tout premier calcul du salaire de subsistance pour les travailleurs des mines de cobalt industrielles à Kolwezi. Le calcul actuel crée un instantané du coût des produits et services essentiels en date de janvier 2023.
Le précédent calcul du salaire de subsistance a été publié dans le cadre d’un rapport détaillé qui a révélé « un système d’exploitation généralisée des travailleurs miniers congolais dans cinq mines industrielles à grande échelle ».
Les plus touchés sont les milliers de travailleurs embauchés par le biais de sous-traitants, qui représentent 57 % de la main-d’œuvre des mines. Les recherches ont montré que les travailleurs reçoivent des salaires très faibles et qu’ils sont soumis à un temps de travail excessif, à des traitements dégradants, à des violences, à des discriminations, à du racisme, à des conditions de travail dangereuses et à un non-respect de la couverture santé de base.
Selon les recherches de RAID et du CAJJ, 63 % des travailleurs sous-traitants interrogés en 2021 et 2022 gagnaient beaucoup moins que le salaire de subsistance, qui, d’après les calculs, s’élevait à 402 dollars américains par mois à l’époque.
« Verser un salaire décent aux travailleurs congolais au cœur de la transition énergétique devrait être facilement réalisable pour les sociétés minières, dont beaucoup génèrent des profits records. Rien ne peut justifier l’absence d’augmentation des salaires à un niveau de base décent pour la main-d’œuvre congolaise. Les constructeurs automobiles qui utilisent le cobalt de la RD Congo dans les batteries rechargeables des véhicules électriques devraient s’assurer qu’il provient de sources responsables et qu’il n’est pas produit aux dépens de travailleurs congolais exploités », s’est indignée Anneke Van Woudenberg, directrice exécutive de RAID.
Les sociétés multinationales pointées du doigt
Les mines industrielles en République démocratique du Congo sont exploitées par des sociétés minières multinationales, y compris des sociétés européennes et chinoises, dont beaucoup ont annoncé des bénéfices exceptionnels considérables l’année dernière.
À titre d’exemple, comme l’ont indiqué RAID et CAJJ, le géant minier suisse Glencore, qui exploite deux des mines congolaises de cuivre et de cobalt les plus productives, a récemment publié des bénéfices de 34,1 milliards de dollars américains, soit une hausse de 60 % par rapport à l’année précédente.
Les actionnaires de Glencore ont perçu 7,1 milliards de dollars américains de gains.
À cet effet, RAID et le CAJJ ont estimé que le coût annuel du versement d’un salaire décent aux 4 874 travailleurs employés en sous-traitance en 2021 à la mine de Katanga Copper Company (KCC) de Glencore, sa plus grande mine de cobalt, représenterait moins de 0,1 % des bénéfices réalisés par la société l’an passé.
En outre, les deux organisations ont exhorté les sociétés d’extraction du cobalt opérant en République démocratique du Congo à verser à tous les travailleurs le salaire de subsistance minimal, qu’ils soient embauchés directement par la société minière ou indirectement par l’intermédiaire de sous-traitants.
RAID et CAJJ ont également appelé les constructeurs de VE, les fabricants de batteries et les raffineurs à mettre fin aux contrats avec les fournisseurs de cobalt qui ne prennent pas de mesures pour remédier à l’exploitation des travailleurs.
Les notes de RAID et CAJJ
La mine de KCC de Glencore est l’une des cinq mines étudiées par RAID et le CAJJ. Les autres mines étudiées étaient celles de Metalkol d’Eurasian Resources Group, Sino-congolaise des mines (SICOMINES) et Société minière de Deziwa (SOMIDEZ).
En 2021, Glencore employait dans sa mine de KCC 11 110 travailleurs, dont 44 % étaient des travailleurs recrutés par le biais de sous-traitants. Si l’ensemble des 4 874 travailleurs congolais embauchés en sous-traitance travaillant pour KCC gagnaient le salaire de subsistance mensuel de 480,37 de dollars américains, l’enveloppe annuelle des salaires à la mine s’élèverait à au moins 28 millions de dollars américains – plus les impôts et les avantages -, ce qui représente environ 0,1 % des bénéfices réalisés par la société l’année dernière.
Monge Junior Diama