À Singapour, en marge du 8e Congrès du Cobalt Institute, le ministre congolais des Mines, Kizito Pakabomba, s’est confié à Mines.cd. Il revient sur la suspension de l’exportation du cobalt brut décidée en février par l’ARECOM, et défend une stratégie pensée pour protéger l’emploi, les revenus et les intérêts stratégiques de la République démocratique du Congo.
Mines.cd : Depuis février, l’ARECOM a suspendu l’exportation du cobalt brut, invoquant une surabondance de l’offre. Pourtant, la production se poursuit sans possibilité d’écoulement. Jusqu’à quand cette mesure restera-t-elle en vigueur ? Et ne craignez-vous pas qu’une levée soudaine de cette suspension ne provoque à nouveau une saturation du marché ?
Kizito Pakabomba : La mesure décidée par l’Autorité de régulation et de commercialisation des substances minérales stratégiques est pleinement soutenue par le gouvernement. Elle répond à un double impératif : économique et social. D’une part, nous devons éviter que les entreprises opérant en RDC ne soient contraintes de fermer, faute de revenus suffisants dans un contexte de chute des prix. Une telle situation entraînerait des pertes massives d’emplois et affaiblirait durablement notre tissu industriel.
D’autre part, cette mesure vise aussi à protéger les creuseurs artisanaux, qui sont aujourd’hui les plus affectés par la baisse des prix. Le cobalt est un sous-produit du cuivre : donc, plus la production de cuivre augmente, plus celle du cobalt suit. Mais dans le contexte actuel, les opérateurs industriels refusent d’acheter le cobalt produit artisanalement, ou l’achètent à des prix dérisoires. Résultat : les artisanaux n’en tirent plus aucun revenu depuis près d’un an.
Mines.cd : Donc la production continue, mais les stocks s’accumulent ?
Exactement. La production industrielle continue, mécaniquement, à générer du cobalt, qui est aujourd’hui stocké par les entreprises, faute d’exportation. Cela n’est pas sans conséquence, mais c’est un choix assumé pour préparer une reprise plus saine.
Mines.cd : Quels sont les objectifs concrets de cette politique ?
Notre objectif avec cette mesure, je le dis clairement, est de rééquilibrer le marché du cobalt pour que la RDC en soit réellement bénéficiaire. Premièrement : préserver l’emploi au sein des entreprises installées en RDC. Deuxièmement : permettre, à moyen terme, un meilleur revenu pour les exploitants artisanaux. Troisièmement : garantir que le cobalt contribue réellement au développement national, en finançant les projets portés par le gouvernement.
La suspension actuelle est une mesure temporaire. D’ici quelques jours, nous atteindrons les trois mois d’évaluation que nous nous étions fixés. Ensuite, nous engagerons une série de consultations avec toutes les parties prenantes : société civile, opérateurs miniers, mais aussi utilisateurs finaux du cobalt. Ce dialogue permettra d’élaborer une feuille de route plus durable.
Mines.cd : Mais que se passera-t-il à la levée de la suspension ? N’y a-t-il pas un risque que la libération des stocks entraîne une nouvelle chute des prix ?
C’est un risque que nous anticipons, bien sûr. C’est pourquoi nous menons cette politique avec prudence. Il est important de rappeler que plusieurs opérateurs congolais ont constitué des stocks importants à l’extérieur du pays. Nous suivons cela de près.
Ce que nous voulons, ce n’est pas une flambée artificielle des prix liée à la rareté momentanée de l’offre. Ce que nous cherchons, c’est un rééquilibrage durable du marché. Il faut une offre qui corresponde à la demande, pour que le marché du cobalt soit plus équitable, plus transparent, et surtout plus favorable aux intérêts de la RDC.
Propos recueillis par Olito Mukinzi, envoyé spécial de MINES.CD à Singapour