Entre 2018 et 2023, près de 100 millions de dollars censés financer des projets communautaires dans le Haut-Katanga et le Lualaba ont disparu. En cause : une fraude systémique sur les chiffres d’affaires déclarés par les compagnies minières. La Cour des comptes révèle les rouages d’un scandale à grande échelle.
En effet, c’est une hémorragie silencieuse qui prive des milliers de Congolais de routes, d’écoles, de soins et d’eau potable. Le système de dotation communautaire prévu par le Code minier de 2018, qui oblige les entreprises à verser 0,3 % minimum de leur chiffre d’affaires à des projets de développement local, est en train de s’effondrer sous le poids de la tricherie et de la complaisance.
Selon un rapport accablant de la Cour des comptes, 97 millions de dollars se sont « volatilisés » entre les chiffres d’affaires déclarés à l’État congolais et ceux transmis aux organismes spécialisés (DOTS). Au cœur de la fraude : des manipulations massives des revenus déclarés, orchestrées par la majorité des compagnies minières opérant dans le Copperbelt congolais.
Fraude en série : une mécanique bien huilée
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur les 98,2 milliards USD déclarés par les entreprises à la Direction générale des impôts (DGI), seuls 81,4 milliards USD ont été communiqués aux DOTS. Soit un écart de 16,8 milliards USD, entraînant une perte sèche de 97 millions USD pour les projets communautaires.
Le cas de Kamoa Copper SA est emblématique : l’entreprise a déclaré 5,93 milliards USD à la DGI, mais seulement 2,97 milliards USD aux DOTS, une différence abyssale de près de 3 milliards USD. Une pratique loin d’être isolée : 33 des 36 entreprises auditées ont adopté la même stratégie de sous-déclaration.
Un vide de contrôle… entretenu
Le Code minier (article 258 bis) impose aux sociétés de transmettre leurs chiffres d’affaires réels aux DOTS, base de calcul de la dotation. Mais en l’absence d’un système indépendant de vérification, le champ est libre pour la fraude.
La Cour des comptes dénonce l’inaction du Comité de supervision, théoriquement chargé du suivi. Celui-ci admet ne pas avoir recoupé les chiffres avec la DGI, au motif que le système fiscal congolais repose sur l’autodéclaration. Une faille que les compagnies ont exploitée à grande échelle, dans une quasi-impunité.
Un coup dur pour les populations locales
Au-delà des chiffres, ce sont les communautés minières qui paient le prix fort. Les 97 millions USD perdus auraient pu permettre la construction de centaines de forages, d’écoles, de centres de santé, de routes de desserte agricole, etc. Mais à la place, des villages comme ceux autour de Ruashi ou de Fungurume vivent toujours sans électricité ni eau potable.
À la DOT Ruashi Mining, un détournement présumé de 250 000 USD vient s’ajouter à l’absence criante de projets concrets. « La non-mise en place des organismes spécialisés prive les communautés locales de l’opportunité de bénéficier des retombées de l’exploitation minière », déplore la Cour.
L’heure d’un sursaut institutionnel ?
Face à l’ampleur de la fraude, la Cour des comptes plaide pour une réforme en profondeur :
- Mise en place d’un mécanisme de vérification des chiffres d’affaires,
- Audit annuel indépendant,
- Implication directe de la DGI,
- Application rigoureuse des sanctions prévues par le Code minier, comme la suspension des activités.
Mais sans une volonté politique ferme, ces recommandations risquent de rester lettre morte. Et le rêve d’une dotation minière comme levier de développement local pourrait définitivement s’effondrer.
En somme, ce nouveau scandale met à nu les défaillances structurelles d’un dispositif censé corriger les inégalités criantes dans les zones minières. Tant que les entreprises pourront manipuler impunément les chiffres, la richesse du sous-sol congolais restera un mirage pour ses habitants. Pour ces communautés oubliées, l’enjeu est clair : exiger des comptes et faire entendre leur voix.
La Rédaction | mines.cd