Une enquête réalisée par le Bureau of Investigative Journalism et l’agence de presse britannique, Reuters, a révélé cette semaine les dessous des cartes de l’appel d’offres des brocs pétroliers et gaziers en République démocratique du Congo, en mettant directement en cause le ministre des Hydrocarbures, Didier Budimbu et une entreprise, Alfajiri Energy.
Selon ce document dont l’intégralité a été consulté par MINES.CD, Alfajiri Energy, créé quelques semaines seulement après que le pays a annoncé son intention de lancer des appels d’offres sur une série de blocs de pétrole et de gaz, a remporté les droits d’un bloc de gaz dans le lac Kivu, qui contient de grandes quantités de gaz, « menaçant d’exploser dans l’air, en cas d’une mauvaise gestion ».
Cependant, l’enquête explique la vente aux enchères de blocs de pétrole et de gaz de la RDC a été en « proie à un traitement préférentiel apparent et à des accords en coulisses ». Et, à cet effet, des questions majeures ont été soulevées au sujet de l’entreprise chargée d’extraire le gaz des profondeurs du lac Kivu.
« En octobre de l’année dernière, le ministère des Hydrocarbures a annoncé qu’Alfajiri avait dépassé la première étape de la vente aux enchères, malgré son manque total de références ou d’expertise pour le poste en cours. Étant donné qu’Alfajiri n’avait été créé que 10 mois auparavant, elle n’aurait pas pu fournir les trois années d’états financiers exigés par la loi pour passer à l’étape suivante », a révélé la source précitée.
Deux rapports « contradictoires » du ministère des Hydrocarbures
L’enquête du Bureau of Investigative Journalism et Reuters a également révélé que des experts du ministère congolais des Hydrocarbures ont produit un rapport « accablant » sur Alfajiri et cela a détaillé la façon dont son offre « manquait d’informations vitales » telles qu’un plan de travail ou une étude de faisabilité et que seulement trois de ses 20 travailleurs supposés s’étaient réellement engagés dans le projet.
Cerise sur le gâteau, sur l’ensemble de tous les postulants, Alfajiri a obtenu le score le plus bas des trois sociétés soumissionnant pour le bloc de gaz.
« Pourtant, les mêmes experts ont ensuite produit un deuxième rapport, qui représentait un revirement remarquable depuis le premier. Ici, les rédacteurs avaient supprimé les préoccupations clés et modifié les scores, qui ont été comptabilisés – à tort – pour repositionner Alfajiri en tant que soumissionnaire ayant obtenu le score le plus élevé. Ce résultat a été confirmé un mois plus tard, lorsque le ministère a annoncé que la société avait gagné les droits d’extraction du gaz du lac Kivu », ont expliqué Bureau of Investigative Journalism et Reuters.
Deux sources ayant une connaissance directe de la vente aux enchères ont déclaré aux enquêteurs que « Budimbu avait fait pression sur les experts du ministère pour qu’ils modifient le rapport », trouvant ainsi la vente aux enchères en faveur d’Alfajiri. Une autre source a également déclaré que le processus avait été « perturbé » et qu’Alfajiri « n’avait pas satisfait aux exigences pour gagner le bloc ».
Pour Vincent Rouget, directeur du cabinet de conseil Control Risks, bien qu’Alfajiri ait été jugé apte à présider le bloc de gaz, il se peut « qu’il ne soit pas l’opérateur final ».
« La valeur réelle pour les propriétaires de ces entreprises ne résiderait pas tant dans ces blocs, mais dans le fait de réussir à les vendre à un plus grand opérateur à l’avenir », a-t-il soutenu.
L’affaire GeoSigmoid et Clayhall Group
Hormis l’affaire Alfajiri, d’autres révélations suggèrent qu’il y avait des « irrégularités » avant même le lancement du processus d’appel d’offres pour le pétrole et le gaz, ont expliqué les enquêteurs du Bureau of Investigative Journalism.
En effet, il y a deux ans, le ministre Didier Budimbu signait un accord tripartite pour évaluer les réserves de pétrole de la RDC. Les sociétés impliquées étaient un cabinet de conseil en pétrole et en gaz nommé, GeoSigmoid, et Clayhall Group, qui a été enregistré à Dubaï par le magnat nigérian des paris, Ayo Ojuroye.
« Une lettre lause d’Ojuroye à Budimbu un an plus tard semble faire la lumière sur le rôle de Clayhall. Ojuroye a écrit sur le besoin urgent d’accorder à Clayhall les droits sur les deux blocs d’huile de son choix comme convenu dans le contrat. Il a noté que son entreprise avait pris les risques associés au financement de l’étude des réserves de pétrole de la RDC », explique les enquêteurs.
Ils renseignent également que ces risques étaient élevés : deux sources ont déclaré que le contrat valait 5 millions de dollars américains. Pourtant, un scientifique qui a travaillé sur les études a déclaré « qu’ils avaient été embauchés pour interpréter les données existantes – une recherche de bureau pour laquelle des frais de 5 millions de dollars seraient astronomiques », selon un géologue consultant non lié à la vente aux enchères.
Selon eux, le ministre Didier Budimbu aurait mentionné le contrat avec GeoSigmoid lors d’une réunion du cabinet en mai 2022, « demandant » des fonds pour payer lesdites études.
« En fait, Clayhall avait déjà accepté de payer les études en échange d’une vente aux enchères restreinte qui lui accorderait le droit d’exploiter deux blocs de pétrole – qui n’ont pas été mentionnés par Budimbu. La loi congolaise stipule qu’une vente aux enchères restreinte ne peut être autorisée que par le cabinet. Deux sources ont déclaré que le contrat avait été caché », ont précisé Bureau of Investigative Journalism et Reuters.