Une enquête fouillée menée par l’organisation internationale Global Witness met en lumière les ramifications d’un trafic illicite de coltan qui, selon elle, alimente la machine de guerre du M23 dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC). Au cœur de cette affaire : Traxys, une multinationale luxembourgeoise spécialisée dans le négoce des matières premières.
Un commerce sous haute tension
Selon le rapport transmis ce mardi 15 avril 2025 à MINES.CD, Traxys aurait acquis, en 2024, au moins 280 tonnes de coltan provenant du Rwanda. Toutefois, les investigations de Global Witness, fondées sur l’analyse des données commerciales croisées à des témoignages de contrebandiers, révèlent que ce minerai proviendrait en réalité de la région de Rubaya, en RDC, sous contrôle du groupe armé M23.
Depuis début 2024, ce groupe rebelle soutenu par le Rwanda, selon l’ONU, contrôlerait plusieurs mines de coltan, ainsi que les routes d’acheminement du minerai. D’après les experts onusiens, cette emprise permettrait au M23 de générer jusqu’à 800 000 dollars de revenus mensuels, contribuant ainsi au financement de son offensive militaire dans les provinces de l’Est congolais.
Une UE critiquée pour son partenariat avec Kigali
L’enquête pointe également du doigt l’Union européenne, qui a signé en février 2024 un partenariat stratégique avec le Rwanda pour l’accès aux matières premières critiques, dont le tantale issu du coltan. Ce partenariat a été conclu sans mécanisme de contrôle rigoureux pour éviter l’entrée de « minerais de conflit » dans les chaînes d’approvisionnement européennes.
Pour Alex Kopp, responsable des campagnes chez Global Witness, cette situation est inacceptable. Il déplore que « du coltan de conflit puisse aisément se retrouver dans les circuits européens » et exhorte l’UE à suspendre son aide au développement au Rwanda tant que ce dernier ne retire pas ses troupes de la RDC et ne met fin à son soutien au M23.
L’ONG souligne par ailleurs d’importantes anomalies dans les chiffres d’exportation rwandais : entre 2021 et 2023, les volumes ont doublé, avec une hausse spectaculaire début 2024. Ces statistiques ne correspondent pas aux capacités réelles de production du Rwanda, renforçant les soupçons d’une vaste opération de contrebande de coltan congolais blanchi par Kigali.
La défense contestée de Traxys et African Panther
Traxys et son fournisseur, la société African Panther, rejettent ces accusations et affirment respecter des procédures de diligence raisonnable. Toutefois, Global Witness remet en question l’efficacité de ces mécanismes de contrôle, soulignant les zones d’ombre dans les antécédents de certains fournisseurs et des incohérences dans les explications fournies, notamment sur les volumes exportés.
L’ONG doute aussi de la pertinence de l’argument de traçabilité basé sur la distinction physique entre le « coltan blanc » de Rubaya et le « coltan noir » du Rwanda, utilisé par les entreprises pour justifier l’origine de leurs minerais.
Si ces révélations se confirment, elles pourraient provoquer une onde de choc dans le secteur des matières premières, mettant à mal la crédibilité des mécanismes internationaux de lutte contre les minerais de conflit. Elles interpellent aussi directement les institutions européennes sur leur responsabilité morale et politique dans ce commerce opaque.
Pierre Kabakila