Le président de la République Démocratique du Congo, Félix Antoine Tshisekedi a matérialisé le vœu de plusieurs organisations de la société civile congolaise et internationale qui tenaient à la révision du contrat sino-congolais, qualifié de contrat « léonin, déséquilibré et largement au profit de la partie chinoise ».
Lors de la 99ème réunion du conseil des ministres tenue vendredi 20 mai, le président Tshisekedi a annoncé le lancement dans les prochains jours des discussions avec le groupe d’entreprises chinoises pour sceller le rééquilibrage de ce contrat.
Au-delà des ministères chargés de mener ces discussions, le Président congolais a également fait appel à la compétence des certaines organisations spécialisées et directement impliquées au contrat dit du siècle.
« Le comité stratégique sera appuyé dans cette tâche par l’expertise de la Gécamines, de l’inspection générale des finances (IGF) et de l’agence de pilotage de coordination et de suivi de convention de collaboration signé entre la RDC et les partenaires privés (APCSC) et l’initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) », lit-on dans le compte rendu de cette réunion des ministres.
Gécamines, la vache à lait
En 2008, la République Démocratique du Congo (RDC) a signé avec le Groupement d’Entreprises Chinoises (CREC et SINOHYDRO) un accord de coopération financé par EXIM BANK. La Coopération porte sur deux projets, à savoir : la réalisation des infrastructures au profit de la République Démocratique du Congo et le développement d’un projet minier conjoint SICOMINES dans lequel la partie chinoise détient 68% des parts sociales contre 32% pour la partie congolaise représentée par la Générale des Carrières et des Mines (Gécamines). Pour la création de la société commune SICOMINES, la RDC s’est engagée à disponibiliser les gisements de Dikuluwe, Jonction Dima, Mashamba Ouest, Cuvette Dima, Cuvette Mashamba et Synclinal Dik Colline dans l’actuelle Province du Lualaba.
Selon les termes contractuels initiaux, les deux projets sont financés sous forme de prêts que le Groupement d’Entreprises Chinoises accorde à la RDC à travers la SICOMINES, à hauteur de 6 milliards USD pour le volet infrastructures et 3.2 milliards USD pour le volet mines. Les prêts pour les projets d’infrastructures ont été plus tard évalués à 3 milliards après l’objection du Fonds Monétaire International, qui redoutait le risque d’endettement pour la RDC. Les remboursements des investissements chinois ainsi que leurs intérêts cumulés devaient se faire sur les bénéfices futurs que générerait le projet minier SICOMINES.
Pour ce faire, ce dernier bénéficie d’un régime d’exemption de toutes les taxes, impôts, redevances et droits dus à l’État jusqu’à la fin du remboursement des investissements d’infrastructures. Compte tenu de telles exemptions, le temps de remboursement devait être aussi court que possible dans un système transparent. Cependant, 11 ans après l’entrée en vigueur de l’accord, et environ 5 ans depuis l’entrée en production de la mine, la Gécamines attend toujours voir ses parts être revues à la hausse.
L’APCSC, l’œil de l’Etat
Née des cendres du Bureau de Coordination et de Suivi du Programme Sino-congolais, en sigle BCPSC que pilotait Moïse Ekanga – cheville ouvrière du contrat minerais contre infrastructures – l’Agence de Pilotage, de Coordination et de Suivi des Conventions de Collaboration signées entre la République démocratique du Congo et les partenaires privés (APCSC) a été créée en 2022 par un décret du Premier Ministre Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge.
Selon l’esprit de ce décret consulté par la rédaction de MINES.CD, l’APCSC est chargée du pilotage, de la coordination, de la gestion et du suivi de la mise en œuvre des conventions de collaboration et de coopération signées entre le Gouvernement de la RDC et les partenaires privés, spécialement dans les domaines des infrastructures de base et des ressources naturelles.
Elle joue, à cet effet, le rôle d’interface entre les différentes parties et entités intéressées par les projets issus des accords de collaboration ou de coopération en matière d’infrastructures de base et des ressources naturelles, notamment le Gouvernement de la République démocratique du Congo, les entreprises et/ou les groupements d’entreprises privées ainsi que toute joint-venture ou structure de suivi créée aux fins d’exploration, d’exploitation ou de commercialisation des ressources naturelles et/ou d’exécution des travaux d’infrastructures etc.
Et le flic l’IGF
Vielle de 36 ans, l’Inspection Générale des Finances est le chien de garde de la RDC. Elle dispose d’une compétence générale et supérieure en matière de contrôle des finances et biens publics. Ce contrôle tient tout autre en état, excepté ceux de l’Assemblée Nationale et de la Cour des Comptes.
À ce titre, l’Inspection Générale des Finances contrôle, vérifie ou contrevérifie, tant en recettes qu’en dépenses, toutes les opérations financières de l’Etat, des Entités Territoriales décentralisées, des Etablissements Publics, des Organismes Para-Etatiques ainsi que des Organismes ou entreprises de toute nature bénéficiant du concours financier de l’Etat, des Entités Administratives décentralisées et des Etablissements Publics ou Organismes Para-Etatiques sous une forme quelconque, notamment sous forme de participation en capital, de subvention, de prêt, d’avance ou de garantie.
Conformément à l’article 2 bis du même texte, l’Inspection Générale des Finances, en sa qualité de Service d’Audit Supérieur peut procéder, à toute mission de contre-vérification, au second degré, de toutes les situations douanières, fiscales et parafiscales des contribuables ou redevables d’impôts, droits, taxes ou redevances. Au regard des textes qui la créent et l’organisent, l’Inspection Générale des Finances se présente comme un Corps d’Elites ; un Service de Contrôle Supérieur disposant d’une compétence générale en matière de Contrôle des Finances et des Biens Publics.
Dans son récent rapport sur le contrat chinois, l’IGF a conclu à un bradage et une dilapidation des minerais de la RDC. Les entreprises chinoises ont déjà exploité des ressources minières d’une valeur de 10 milliards de dollars américains alors que les infrastructures construites en contrepartie sont évaluées à peine 800 millions de dollars et leur impact n’est pas visible. L’IGF conclut simplement à une revisitation de ces contrats afin d’opérer un rééquilibrage de gains, avantages et charges.
Pour la transparence…
Garant de la transparence dans le secteur minier, l’Initiative pour la transparence des industries extractives avait recommandé en 2021, dans un rapport, de renégocier la convention à l’origine de la création de la Sicomines, cette joint-venture sino-congolaise en 2008. Car ce qui était annoncé à l’époque comme le contrat du siècle – six milliards de dollars de prêt contre des matières premières – constituerait en fait « un préjudice sans précédent dans l’histoire du Congo ».
Parmi les principales accusations de ce rapport, l’existence d’un avenant secret signé en 2017, qui permet de reverser des dividendes aux actionnaires de la joint-venture. Ce qui est contraire à ce qui avait été toujours annoncé, à savoir que les premiers bénéfices devaient servir à rembourser les prêts.
Mais pour un officiel chinois de la Sicomines, il est faux de dire que cet avenant était caché puisqu’il y a eu consensus entre les deux parties, chinoise comme congolaise, et que seule une petite partie des bénéfices devait être distribuée, l’essentiel servant au remboursement des prêts.
L’État congolais n’avait obtenu que 36% des parts de la Sicomines, tout en apportant l’essentiel des actifs sous forme de gisements miniers et en assurant une exonération totale de la joint-venture sino-congolaise. Mais pour cet officiel de la Sicomines, tous ces avantages s’expliquent par le prêt de 6 milliards de dollars consenti par la Chine.
Emmanuel LufiauluisuUn