Après avoir levé le voile sur les dérives managériales et les investissements douteux de la Gécamines SA dans nos deux premiers articles, la troisième partie de notre dossier s’intéresse aux dégâts humains et sociaux de cette crise silencieuse. À Lubumbashi comme à Kipushi, les agents de l’entreprise et les communautés riveraines vivent au rythme d’un géant minier devenu sourd à leurs réalités.
▶️ À relire dans ce dossier :
Gécamines SA : une entreprise stratégique en faillite programmée ?
https://mines.cd/gecamines-sa-une-entreprise-strategique-en-faillite-programmee/
Opacité, conflits d’intérêts et désobéissance : la Gécamines SA dans la tourmente
https://mines.cd/opacite-conflits-dinterets-et-desobeissance-la-gecamines-sa-dans-la-tourmente/
Un management coupé du terrain
À mesure que le temps passe, la Gécamines s’éloigne de ses fondations. La mission parlementaire envoyée à Lubumbashi en mai 2025 parle d’une gestion « à distance », conduite depuis Kinshasa par un comité de gestion accusé d’abandonner les réalités du terrain. Placide Nkala, directeur général, n’y passe que deux semaines par mois, pilotant à travers appels téléphoniques et ordres par messageries internes, dans un contexte de forte tension interne.
Cette absence de proximité managériale se ressent partout : retards d’arbitrages, conflits non résolus, absence de dialogue avec les syndicats, agents livrés à eux-mêmes.
Agents précarisés, retraites bloquées, vacanteurs oubliés
Avec près de 5 776 agents à son actif et une masse salariale de 30 millions USD par mois, la Gécamines est un mastodonte administratif… mais inégalitaire. La tension salariale entre les membres de la direction et les agents de base dépasse les 400 %, alors que les travailleurs réclament des ajustements depuis plusieurs années.
Pire encore, plus de 2 000 agents attendent leur mise à la retraite, suspendue à une dette sociale de 120 millions USD envers la CNSS. Les vacanteurs – ces employés sans statut officiel – errent dans les limbes juridiques et administratifs, sans sécurité, ni espoir d’intégration.
« On nous laisse pourrir ici pendant que d’autres roulent en 4×4 climatisés », se désole un vacanteur de la cité Gécamines à Kipushi.
Des populations locales délaissées
Autour des sites miniers de Lubumbashi, les promesses sociales de la Gécamines se sont évaporées. Le Code minier impose pourtant :
- Une dotation de 0,3 % minimum du chiffre d’affaires pour le développement local,
- Une redevance minière affectée aux entités territoriales décentralisées,
En dehors des ouvrages devenus vétustes, aucun projet structurant n’a vu le jour. Pas de routes, pas d’écoles, pas de centres de santé. Les populations riveraines vivent à côté des richesses, sans jamais y goûter.
« On nous avait promis le développement, on a eu la poussière et le chômage », lâche un jeune habitant de la commune annexe à Lubumbashi.
Une bombe sociale à désamorcer
Ce triple abandon – managérial, salarial et communautaire – menace l’équilibre fragile autour des sites miniers concédés par la Gécamines. La mission parlementaire, dans ses conclusions, alerte sur le risque d’implosion sociale, si des mesures urgentes ne sont pas prises.
Parmi les recommandations phares :
- Un audit externe de la masse salariale et des engagements sociaux,
- La relocalisation de la gestion à Lubumbashi pour plus de réactivité,
- L’intégration des vacanteurs ou leur régularisation statutaire,
- Le respect des obligations sociales envers les communautés locales.
L’avenir suspendu à un sursaut
La Gécamines peut-elle encore renouer avec sa mission d’acteur de développement ? Ou va-t-elle définitivement sombrer, emportée par l’arrogance managériale et l’opacité de sa gouvernance ?
Ce qui est certain, c’est que cette entreprise ne peut survivre durablement sans ses agents, ni sans les populations qu’elle impacte. L’électrochoc provoqué par le rapport parlementaire doit se traduire en réformes concrètes. Le Katanga, berceau historique du cuivre congolais, n’attend pas des discours : il attend des actes.
📍 À lire bientôt dans la dernière partie de ce dossier sur mines.cd :
Des milliards dans le flou : quand les recettes minières échappent aux Congolais