Alors que se profile la signature d’un accord de paix entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, sous l’égide des États-Unis, les inquiétudes grandissent au sein de la classe politique et de la société civile congolaise. Pour plusieurs voix critiques, ce processus risque de légitimer les crimes commis dans l’Est du pays et de blanchir les responsables du pillage des ressources naturelles.
Le Prix Nobel de la paix 2018, Denis Mukwege, figure emblématique de la lutte pour la justice et les droits humains en RDC, a livré une réflexion tranchée dans une déclaration transmise à MINES.CD ce samedi 21 juin 2025.
« Dans l’état actuel, l’accord en genèse reviendrait à accorder une prime à l’agression, à légitimer le pillage des ressources naturelles congolaises et à contraindre la victime à aliéner son patrimoine national, en sacrifiant la justice pour garantir une paix précaire et fragile », dénonce Denis Mukwege.
Un processus jugé opaque et déséquilibré
S’il salue les efforts diplomatiques de médiation, Dr Mukwege s’indigne du caractère opaque et non inclusif des négociations en cours. Il estime que cet accord élude la reconnaissance de l’agression rwandaise et favorise un rapport de force injuste.
« L’accord laisse à penser qu’il est à l’avantage de l’agresseur non sanctionné, qui verra ainsi ses crimes du passé et du présent blanchis sous couvert de coopération économique », a-t-il poursuivi.
Le médecin congolais appelle à plus de transparence et à une implication accrue des femmes et des jeunes dans le processus de paix, dénonçant la marginalisation des forces vives de la nation.
« Nous exprimons des réserves sur les négociations en cours et lançons un appel à la transparence et à l’inclusivité, avec une participation significative des femmes et des jeunes », insiste-t-il.
Appel au respect du droit international
Denis Mukwege exhorte les parties prenantes à s’aligner sur la résolution 2773 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée le 20 février 2025. Il rappelle que ce texte fait autorité en droit international et impose :
- Un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel ;
- Le retrait des Forces de défense rwandaises du territoire congolais ;
- La fin de leur soutien au M23 ;
- Ainsi que le démantèlement des administrations parallèles dans les zones occupées. « Cette résolution s’impose à tous les États. Elle doit être la base d’un processus de paix juste et respectueux de la souveraineté congolaise », a-t-il martelé.
Un accord déjà paraphé sous médiation américaine
Malgré les réserves exprimées, les démarches se poursuivent. Le jeudi 19 juin, les équipes techniques de la RDC et du Rwanda ont paraphé le texte de l’accord de paix à Washington, sous la médiation des États-Unis et en présence de la sous-secrétaire d’État américaine aux affaires politiques, Allison Hooker. La signature officielle est attendue le 27 juin 2025, en présence du secrétaire d’État américain Marco Rubio.
L’accord inclurait des dispositions sur l’intégrité territoriale, l’interdiction des hostilités, le désengagement militaire, le désarmement, ainsi qu’une intégration conditionnelle des groupes armés non étatiques.
Alors que le gouvernement congolais présente ce futur accord comme un levier pour ramener la paix dans la région des Grands Lacs, des acteurs clés comme Denis Mukwege rappellent qu’une paix durable ne peut s’imposer sans justice, sans reconnaissance des victimes, et sans restaurer la confiance de la population congolaise.
Daniel Bawuna