Par John Ngombwa
Introduction – Au-delà de la polémique, une question de sécurité nationale
Il n’y a pas lieu ici de se livrer à une simple joute verbale.
Lorsqu’un responsable religieux de tout premier plan, investi d’une autorité morale majeure, décide de diffuser depuis la chaire d’une église — le jour même de Noël — des propos manifestement inexacts, lourdement insinuants et non étayés, la question cesse d’être politique : elle devient institutionnelle, morale et sécuritaire.
Dans un pays comme la République démocratique du Congo, marqué par des décennies de conflits armés, une extrême fragilité sociale et une polarisation aiguë, la parole religieuse a un poids structurant. Elle peut apaiser, mais elle peut aussi, si elle est mal employée, désorganiser les consciences et fragiliser les dynamiques de paix.
Liberté d’expression et responsabilité morale accrue
La liberté d’expression est un droit fondamental.
Mais l’autorité morale conférée par une fonction religieuse implique une responsabilité accrue : responsabilité de vérité, de prudence et de cohérence.
Lorsque Monseigneur Fulgence Muteba s’exprime publiquement, sa parole ne peut être reçue comme une opinion ordinaire. Elle est immédiatement perçue comme une prise de position engageante, en raison de l’autorité morale attachée à sa personne et à sa fonction. Et lorsqu’il témoigne, l’opinion suit avec gravité, car sa parole porte un poids moral considérable, susceptible d’influencer les consciences bien au-delà du cercle religieux.
C’est précisément pour cette raison que l’exigence de rigueur, de véracité et de cohérence doit être plus élevée encore, en particulier dans un contexte national marqué par la guerre, la polarisation et la fragilité sécuritaire.
Lorsque Monseigneur Fulgence Muteba affirme publiquement :
« J’ai été à Doha pour rechercher la paix, j’ai lu dans les yeux de ce prince du pétrole non pas d’abord le désir de nous apporter la paix »
il ne s’agit ni d’un fait vérifiable, ni d’une analyse documentée, mais d’une projection subjective, présentée comme un jugement moral.
Ce que prescrit l’Église catholique sur l’usage de la chaire (textes officiels)
Ici, il ne s’agit pas d’une opinion sur l’Église, mais de ce que l’Église dit elle-même dans ses textes normatifs.
1. Le Code de droit canonique
Le Code de droit canonique précise que l’homélie est « partie de la liturgie elle-même » et qu’elle doit exposer, « à partir du texte sacré », « les mystères de la foi et les normes de la vie chrétienne »
(can. 767 §1 — texte officiel : https://www.vatican.va/archive/cod-iuris-canonici/cic_index_fr.html).
Autrement dit, la chaire n’est pas un espace libre d’opinion politique : elle est juridiquement définie comme un acte liturgique ordonné à la vérité révélée et à l’édification des fidèles.
2. Le Missel romain (Présentation générale)
La Présentation générale du Missel romain rappelle que l’homélie fait partie intégrante de la liturgie et qu’elle doit être « une exposition » des lectures bibliques ou d’un texte liturgique du jour
(n°65 — texte officiel : https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/ccdds/documents/rc_con_ccdds_doc_20030317_ordinamento-messale_fr.html).
La norme est claire : l’homélie doit éclairer la Parole de Dieu, non substituer des impressions personnelles ou des suppositions aux faits.
3. Le Directoire homilétique du Vatican
Le Directoire homilétique, publié par le Saint-Siège en 2014, précise que l’homélie doit exprimer « la foi de l’Église » et non d’abord le témoignage personnel du prédicateur. Il avertit explicitement que le temps de l’homélie ne doit pas être accaparé par des récits subjectifs, même sincères
(texte officiel : https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/ccdds/documents/rc_con_ccdds_doc_20140629_direttorio-omiletico_fr.html).
Là encore, le principe est celui de la vérité objectivable, non de la narration personnelle.
4. L’enseignement du Pape François
Dans Evangelii Gaudium, le Pape François (que Dieu accueille son âme et lui accorde le repos éternel) rappelle que l’homélie « ne peut être une forme de divertissement » et qu’un prédicateur qui ne se prépare pas « manque de respect au peuple de Dieu »
(n°138–145 — texte officiel : https://www.vatican.va/content/francesco/fr/apost_exhortations/documents/papa-francesco_esortazione-ap_20131124_evangelii-gaudium.html).
Conclusion normative : selon les textes de l’Église elle-même, la chaire est le lieu de la vérité, de la Parole et du discernement. Elle n’est pas le lieu des suppositions, des insinuations ou des affirmations non vérifiées.
Un accord public, accessible et vérifiable : rien n’est caché
L’accord mis en cause — le Strategic Partnership Agreement entre les États-Unis d’Amérique et la République démocratique du Congo — est un document public, officiellement publié et librement accessible.
Texte intégral officiel :
Il ne s’agit ni d’un accord secret, ni d’un protocole dissimulé. Toute personne peut le lire, l’analyser et vérifier son contenu.
Ce que l’accord dit réellement… et ce qu’il ne dit pas
Une lecture directe et honnête de l’accord montre que n’y figurent nulle part :
- une cession ou un « bradage » des minerais congolais ;
- une exploitation accordée pour 99 ans ;
- un transfert de propriété des ressources naturelles ;
- une attribution automatique de titres miniers ;
- une remise en cause de la souveraineté minière de la RDC.
Ces affirmations, pourtant répétées dans certaines prises de parole, sont absentes du texte officiel (voir lien ci-dessus).
Une conclusion factuelle incontournable
Dès lors, une conclusion s’impose, non pas politique mais documentaire :
les affirmations relatives au “bradage”, aux “99 ans” ou à la cession des minerais ne peuvent pas provenir de la lecture de l’accord, puisqu’elles n’y figurent pas.
Elles résultent nécessairement :
- soit d’une non-lecture du texte,
- soit d’une interprétation indirecte et erronée,
- soit d’une construction discursive déconnectée des faits.
Une question de cohérence morale
Dès lors, une question légitime demeure :
Lorsque ce même prélat s’est rendu auprès de Paul Kagame, et que ce dernier aurait remis des fonds à cette délégation,
qu’a-t-il vu dans les yeux de Kagame ?
Cette question n’est ni personnelle ni polémique. Elle met en lumière une incohérence méthodologique : on ne peut dénoncer sur la base d’impressions subjectives tout en affirmant des faits que les textes officiels démentent.
La parole du Pape François et sa cohérence
Lors de sa visite en RDC, le Pape François (que Dieu accueille son âme et lui accorde le repos éternel) appelait clairement à ce que les richesses du Congo cessent d’alimenter la guerre et servent enfin la paix et la prospérité du peuple.
Cette parole visait à mettre fin au pillage et à l’économie de guerre, non à rejeter les cadres transparents, légaux et vérifiables de coopération.
Conclusion – La paix commence par la vérité
Dans un pays meurtri par la guerre, la paix commence par la vérité.
Elle exige :
- la lecture des textes,
- la vérification des faits,
- et un usage responsable de la parole, surtout lorsqu’elle est prononcée depuis la chaire.
L’accord est public.
Son contenu est accessible.
Et les accusations portées contre lui n’y figurent pas.
À ce niveau de responsabilité morale, affirmer publiquement le contraire de ce que dit un texte officiel n’est pas une opinion : c’est une faute démontrable.
John Ngombwa




