Très proche de Joseph Kabila – qu’il n’hésite pas d’appeler affectueusement son « frère » – l’homme d’affaires israélien Dan Gertler, sous sanctions américaines, joue sa survie. Accusé de corruption, ce milliardaire a fait fortune dans le secteur minier en République démocratique du Congo. L’administration Trump avait allégé les sanctions dont il faisait l’objet aux États-Unis depuis 2017.
Cette mesure, prise par l’administration de l’ex-président américain Donald Trump, « était en contradiction avec les intérêts américains de politique étrangère en matière de lutte anticorruption dans le monde entier, dont les efforts […] visant à combattre la corruption et promouvoir la stabilité en RDC », expliquait dans un communiqué le porte-parole du département d’État, Ned Price. En début d’année 2021, ce magnat des mines a assisté au rétablissement des sanctions dont lui-même et ses avoirs font objet.
Spécialiste des circuits financiers offshore, il est considéré comme un « pilleur » des richesses congolaises par des ONG locales et occidentales. Depuis décembre 2017, M. Gertler et ses sociétés font l’objet de suspicion de détournements d’argent et de corruption en RDC. Il est soupçonné d’avoir signé des « contrats miniers et pétroliers opaques et entachés de corruption » qui, selon le département d’État américain, a fait perdre à la RDC « 1,36 milliard de dollars de recettes » fiscales dans les années 2010, sous la présidence de Joseph Kabila, dont il est proche.
Les permis d’exploration non renouvelés
Quelques mois après le rétablissement des sanctions contre l’israélien, Kinshasa a, dans la surprise générale, refusé de renouveler les permis d’exploration des blocs pétroliers 1 et 2 du lac Albert, accordés en 2010 à deux entreprises liées à Gertler. Selon Global Witness, l’israélien détenait plus d’une cinquantaine de permis extractifs à travers une kyrielle de sociétés établies dans des paradis fiscaux. Sociétés spécialisées dans le pétrole du lac Albert, mais aussi dans le cuivre et le cobalt du Lualaba et du Haut-Katanga, ainsi que dans la filière diamant du Kasaï.
Déjà interdit d’effectuer toute transaction en dollars et tout lien avec des compagnies américaines, c’est dans ce contexte que le « tout puissant » Gertler décide de restituer au Congo la plupart de ses droits extractifs, question de se mettre à l’abri des éventuelles saisies de comptes en dollars et incrimination de ses partenaires.
Le « deal » Gertler-Tshisekedi
Huit mois après le non renouvellement des permis d’exploration de ses zones pétrolières par Kinshasa, Dan Gertler a réussi à conclure, le 24 juin 2022, un accord à « l’amiable » avec le gouvernement congolais. Ce qui permet à la RDC de récupérer – même si pour le collectif « Corruption tue » ce n’est pas « suffisant » – des actifs miniers et pétroliers litigieux évalués à plus de deux milliards de dollars. Dans un communiqué publié 10 jours plus tard, le sulfureux milliardaire, qui a fait office d’intermédiaire sur les plus gros contrats du pays pendant près de 20 ans, a rapidement salué cet accord.
Dans son communiqué, Dan Gertler a remercié le président Félix Tshisekedi et son équipe pour le travail « approfondi et minutieux qui a été réalisé ». « Cet accord, écrit-il, met fin à l’impasse dans laquelle nous nous trouvions et permet d’aller de l’avant ».
Même s’il représente, selon ses mots, « un coût personnel considérable », Dan Gertler assure respecter « pleinement l’accord ».
Il précise en outre que « tous les permis et licences détenus par le groupe Gertler seront restitués ». Pour le milliardaire, il était « vital de trouver une nouvelle façon d’avancer ». La négociation était donc à ses yeux la seule voie de sortie : « Il n’est ni dans mon intérêt, ni dans l’intérêt du peuple de la RDC, que des actifs tels que les blocs du lac Albert soient embourbés dans un arbitrage international à perpétuité ».
En préambule de ce communiqué, Dan Gertler se pose en victime. « Je suis dévasté par l’image qui a été créée à mon sujet », déclare-t-il, lui qui dénonce « les pointages systématiques et les critiques incessantes auxquels il a été confronté, avec en point d’orgue, ajoute-t-il, les sanctions américaines dévastatrices ». Selon le quotidien israélien Haaretz, Dan Gertler aurait envoyé, durant cette période, des émissaires justement pour négocier avec les autorités américaines la levée de ces sanctions.
Avraham Moyal chez Tshisekedi
Si en août 2022, dans la fièvre de la visite du secrétaire d’État américain Antony Blinken, Dan Gertler s’est rendu discrètement à Kinshasa, le magnat des mines peut désormais compter sur les offices d’un religieux et homme d’affaires américain Avraham Moyal qui est devenu son émissaire. Objectif : baliser la voie de sa réhabilitation consul honoraire de la RDC en Israël. En juillet, à la cérémonie du lancement officiel des appels d’offres des blocs pétroliers et gaziers par Félix Tshisekedi, présent dans la salle, Dan Gertler s’était fait accompagné d’un « discret quadragénaire échevelé à la barbe oblongue, le rabbin et financier-investisseur new-yorkais Brams Jacob Moyal, plus connu comme Rav Avraham Moyal », détaille Africa Intélligence qui ajoute que parfaitement francophone, cet Américain est parvenu à nouer une relation de confiance avec le président Tshisekedi.
Lorsqu’il revient secrètement à Kinshasa, ce lundi 8 août, pour s’entretenir avec Tshisekedi, comme l’a révélé Africa Intelligence, Gertler est une fois encore accompagné du rabbin Moyal. Dans la capitale congolaise, « deux jours plus tôt, l’intermédiaire s’est invité dans le bureau de Christophe Lutundula Apala, vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères. Ce dernier reçoit Moyal, qu’il découvre pour la première fois et, sur consigne de la présidence, signe la lettre officielle de nomination de Dan Gertler en tant que consul honoraire de la RDC en Israël. Une fonction déjà occupée dans le passé, lorsque son ami Joseph Kabila dirigeait le pays », apprend-on. Sous réserve de validation par le chef de l’État qui détient le document, le magnat israélien pourrait bien disposer à nouveau d’un passeport diplomatique congolais – le dernier en sa possession a expiré le 27 mai 2020 – et donc d’une certaine immunité. « Une sorte de réhabilitation, en somme, dont Moyal s’enorgueillit », note Africa Intelligence.
« Entre spiritualité, business et diplomatie privée, le « religieux d’affaires » amateur de cigares, de cognac et de yachts cultive son entregent. Comme aux Etats-Unis dans l’entourage de l’ancien président Donald Trump et dans les milieux bancaires, aux Emirats arabes unis avec Ahmed bin Sulayem, le PDG de Dubai Multi Commodities Centre (DMCC), en Israël au sein de la galaxie de Benjamin Netanyahu, un proche de Dan Gertler, et plus particulièrement dans les cercles ultraorthodoxes. Comme tout intermédiaire, il prend plaisir à amplifier ses relations », décrit notre source.
Pasteur Paul David Olangi, le trait d’union
La rencontre entre l’émissaire de Dan Gertler et le Président congolais Félix Tshisekedi a pour trait d’union, le pasteur Paul David Olangi – fils du feu couple Olangi de la grande communauté des églises du combat spirituel – qui dispose en même temps d’accès au chef de l’État et détient un passeport de service en tant que « conseiller » à la présidence.
Il est présenté, par Africa Intelligence comme l’un de ces évangéliques qui a introduit Moyal à la présidence. « Au début de l’année 2021, le rabbin Moyal le sollicite pour intervenir en faveur de la libération d’Alexander Zingman. Cet homme d’affaires américano-biélorusse, très introduit dans les milieux sécuritaires israéliens, a été arrêté en mars par l’Agence nationale de renseignement (ANR) à son arrivée à Lubumbashi en provenance d’Harare, en raison de ses liens avec l’ancien président Kabila. Il a aussi été interrogé sur Yossi Cohen, chef du Mossad et proche de la galaxie Gertler, qui a effectué trois voyages confidentiels en RDC pour s’entretenir avec Kabila », indique la source. Mais, par le biais de son avocat, Daniel Delnero (Squire Patton Boggs), Zingman dément toute implication dans cette opération avec le pasteur Olangi qui l’a sollicité, en juillet 2021, en tant que vice-président de la Fondation Olangi-Wosho.
Se présentant comme fervent défenseur du rapprochement entre la RDC et Israël – également proche de la communauté ultraorthodoxe de Kinshasa, dont fait partie le rabbin Shlomo Bentolila, qui la représente en Afrique centrale – c’est avec le pasteur Olangi que Moyal est reçu par le président Tshisekedi.
Depuis, Moyal a maintenu le lien avec le président Tshisekedi. De son côté, Gertler, de plus en plus sous pression des autorités américaines, s’est désespérément tourné vers d’anciennes figures du régime Kabila et des conseillers de son successeur. Parmi ces derniers, certains sont aujourd’hui soupçonnés d’avoir tenté d’œuvrer en sa faveur. Ils se retrouvent sur la liste des proches conseillers de Tshisekedi menacés d’éventuelles nouvelles sanctions américaines, comme l’a révélé Africa Intelligence.
Kinshasa tente de sauver Gertler
Dans une déclaration faite le jeudi 21 avril par son porte-parole, à l’issue de sa participation à la table ronde tenu du 13 au 14 avril de l’année en cours, organisée par la présidence de la République, le Congo N’est pas à Vendre (CNPAV), accuse Kinshasa d’être au coeur de « manœuvre » visant la levée des sanctions du gouvernement américain contre Dan Gertler ainsi que ses avoirs
« Accord signé par la RDC et le groupe Ventora appartenant à Dan Gertler, d’une clause astreignant l’Etat congolais à défendre dudit accord auprès des médias, des ONG et de l’administration américaine afin d’obtenir la levée des sanctions américaines à l’endroit de l’homme d’affaires Juif Dan Gertler », s’indigne Jean-Claude Mputu, porte-parole du collectif.
À en croire le CNPAV, structure citoyenne regroupant les mouvements citoyens congolais, la démarche qu’entretient Kinshasa auprès des instances américaines est totalement incompréhensible et inacceptable, d’autant plus qu’il risque d’occasionner l’utilisation d’autres importantes ressources financières du contribuable congolais.
« Cet engagement, quasi-immoral, pris par la RDC est totalement incompréhensible et inacceptable, d’autant plus qu’il risque d’occasionner l’utilisation d’autres importantes ressources financières du contribuable congolais à travers les actions de lobbying auprès de l’administration américaine », note le porte-parole du CNPAV.