La République Démocratique du Congo, pays riche en ressources naturelles, détient environ 9 % des réserves mondiales de diamants et contribue significativement à la production mondiale, avec 18 % des diamants industriels et 3 % des gemmes. Pourtant, le secteur diamantifère congolais traverse une crise profonde. C’est ce que révèle un rapport exhaustif de l’International Peace Information Service (IPIS), transmis à MINES.CD ce vendredi 23 mai 2025.
L’IPIS, institut de recherche indépendant engagé en faveur de la paix, du développement durable et des droits humains, dresse un tableau alarmant. Le document retrace l’évolution du secteur, ses nombreux défis, et évalue les efforts entrepris — jugés encore insuffisants — pour redynamiser l’industrie et en faire un levier du développement local.
Un secteur en déclin : chute de production et concentration géographique
La production annuelle de diamants en RDC est passée d’environ 30 millions de carats au début des années 2000 à une moyenne de 11,7 millions de carats depuis 2019. Cette chute s’explique notamment par le déclin de la Société Minière de Bakwanga (MIBA) depuis 2008, et la baisse de la production artisanale à partir de 2017, partiellement compensée par l’entrée en scène de la Société Anhui-Congo d’Investissement Minier (SACIM), active depuis 2016.
Le rapport note une concentration géographique extrême de l’exploitation, dominée à 96 % par le Kasaï-Oriental, particulièrement la zone de Mbuji-Mayi, avec une prédominance de diamants industriels. D’autres provinces comme la Tshopo, le Kasaï-Central et le Kasaï se démarquent par une plus forte proportion de gemmes.
Gouvernance défaillante et méfiance généralisée
La gouvernance du secteur reste fragile. Les services de l’État manquent de moyens pour contrôler efficacement les flux, laissant place à une économie largement informelle, gangrenée par la fraude et la contrebande. Cette situation alimente une méfiance tenace entre les exploitants artisanaux et les agents publics, souvent accusés d’extorsion et de fiscalité arbitraire.
Les populations locales dénoncent un manque criant de retombées positives. Le rapport souligne notamment un écart de 12,1 millions de dollars entre les cotisations fiscales déclarées par la SACIM (18,4 millions) et les chiffres du gouvernement (6,3 millions) en 2022, selon les données de l’ITIE-RDC. Par ailleurs, la redistribution aux autorités provinciales reste opaque, avec des soupçons de détournement empêchant tout impact réel sur le développement local.
Bien que la RDC soit membre du Processus de Kimberley, des doutes persistent quant à l’efficacité du système de certification, compte tenu des difficultés à tracer les diamants, de leur dissimulation aisée, et des soupçons de contrebande transfrontalière.
MIBA et SACIM : deux trajectoires opposées, deux controverses
La MIBA, autrefois pilier de l’économie du Kasaï, est aujourd’hui en ruine. Privée de ses meilleures concessions, affaiblie par des « contrats léonins » et un sous-investissement chronique, elle peine à reprendre ses activités. Les accusations de mauvaise gestion et de détournements de fonds ont miné sa crédibilité, et l’absence d’équipements empêche l’exploitation de ses vastes concessions.
La SACIM, en revanche, affiche une production stable mais reste au centre de vives critiques. La société civile l’accuse de violations des droits des travailleurs, de violences à l’encontre des creuseurs artisanaux, de pollution, de fraude fiscale et d’un engagement minimal dans le développement communautaire. Le dialogue entre l’entreprise et les parties prenantes locales est quasi inexistant, et les résultats des efforts gouvernementaux tardent à se concrétiser sur le terrain.
L’artisanat minier dans l’impasse
Le sous-secteur artisanal vit sa plus grave crise depuis les années 1980. En dix ans, sa production a été divisée par deux. En cause : l’épuisement des gisements accessibles, la précarité des conditions de travail, la faiblesse de la traçabilité, et la recrudescence des actes de banditisme. De nombreux creuseurs s’aventurent illégalement sur les concessions de la MIBA, au péril de leur vie, souvent violemment réprimés par les forces de l’ordre.
Les autorités sont plus enclines à taxer qu’à accompagner les mineurs vers des pratiques plus sûres. Le rapport préconise la création de Zones d’Exploitation Artisanale (ZEA), un appui accru aux coopératives, une meilleure reconnaissance des autorités coutumières et la répression des abus.
Un secteur oublié des grandes réformes minières
Alors que d’autres filières comme le cuivre, le cobalt ou les « minerais de conflit » bénéficient d’initiatives de transparence et de respect des droits humains, le diamant reste largement en marge. Quelques actions isolées — comme le projet OrigemA pour la traçabilité, le travail de la DDI pour l’enregistrement des creuseurs, ou les formations dispensées à Anvers via l’AWDC — ont vu le jour, mais elles restent insuffisantes.
L’IPIS conclut que, sans un accompagnement financier et technique renforcé, il est irréaliste d’attendre de la RDC une conformité totale aux exigences internationales en matière de droits humains, de normes ESG et de certification. Il appelle à une réforme globale et inclusive pour faire du diamant un véritable moteur de développement, et non un facteur de marginalisation.
Pierre Kabakila