Le Président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, a adressé le 05 mai 2022, une lettre à son homologue américain Joe Biden, dans laquelle il plaidait pour la levée des sanctions du Trésor des États-Unis qui pèsent actuellement contre le magnat israélien, Dan Gertler, accusé de corruption et fraude.
Cette prise de position du Chef de l’État congolais en faveur de l’homme d’affaires israélien, n’a pas laissé indifférente l’organisation de la société civile, le Congo n’est pas à vendre (CNPAV), qui à son tour a adressé une lettre ouverte à Félix Tshisekedi pour exprimer son total « désarroi » après découverte de sa missive adressée à Joe Biden.
« Nous vous exhortons très respectueusement de reconsidérer cette demande et prendre toutes les mesures utiles pour préserver les intérêts des populations congolaises dans un règlement possible des litiges qui opposent Monsieur Dan Gertler à la République démocratique du Congo », a affirmé le CNPAV dès l’entame de sa lettre.
Le CNPAV a rappelé qu’il se bat pour que cessent les pratiques de corruption, de rétro-commissions et de pots-de-vin, afin de mettre un terme au pillage des ressources naturelles de la République démocratique du Congo et à l’impunité dont jouissent les responsables de corruption et de détournements de l’argent destiné aux routes, écoles, hôpitaux, eau potable, à l’effort de guerre et au redressement des entreprises publiques.
Pour cette coalition, le dossier de Dan Gertler occupe une place particulière dans sa lutte et devrait attirer l’attention de Félix Tshisekedi en raison de l’ampleur des pertes causées pour la République démocratique du Congo et des pots-de-vin versés à l’élite politique congolaise par le passé.
Plus de 2 milliards USD perdus par la RDC
Dans sa lettre adressée à Félix Tshisekedi, le CNPAV a révélé que les pertes pour la République démocratique du Congo s’élèvent à plus de 2 milliards de dollars américains. Selon cette coalition, l’accord conclu en février 2022 par l’administration Tshisekedi et la société Ventora de Dan Gertler est très « déséquilibré et ne profite pas à la population ».
« Non seulement cet accord méconnaît les pertes énormes passées encourues par la RDC, li oblige celle-ci à payer de l’argent cash à Monsieur Dan Gertler. Pire encore, l’accord légitime les transactions illégales et frauduleuses ayant conduit à la cession des royalties de la Gécamines à la société Ventora de Monsieur Dan Gertler qui garde le droit de percevoir ces royalties pendant les quinze prochaines années », a expliqué le CNPAV.
Pour la seule année 2022, la société Ventora de Dan Gertler avait droit de toucher environ 130 millions de dollars américains à titre de royalties acquises « illégalement » et « frauduleusement » dans les projets miniers KCC, MUMI et Metalkol, a expliqué le CNPAV.
« Les pots-de-vin que Monsieur Dan Gertler a versés par le passé aux officiels congolais dans l’acquisition frauduleuse des actifs l’ayant rendu milliardaire ont été largement mis en évidence par la justice américaine et britannique. Ainsi, par exemple le Serious Fraud Office britannique, les pots-de-vin versés aux officiels congolais par Monsieur Dan Gertler s’élèveraient 380 millions pour la période de 2006 à 2011 », a épinglé cette organisation de la société civile dans sa lettre adressée à Félix Tshisekedi.
En effet, selon le Département de la justice américaine, il a été indiqué que Dan Gertler et ses associés ont payé au moins 100 millions de dollars américains de pots-de-vin pour la même période. En outre, pour le CNPAV, le directeur de cabinet adjoint du Chef de l’État congolais, André Wameso, a qualifié Dan Gertler de « principal architecte du pillage de nos ressources naturelles ».
« Face à l’importance du dossier et à la proximité de Monsieur Dan Gertler avec le régime précédent, nous avions espéré que votre avènement au sommet de l’Etat et votre politique de lutte contre la corruption auraient permis de mettre fin à ses pratiques dévastatrices pour le pays », a rappelé le CNPAV à Félix Tshisekedi.
Paiement à la RDC d’une compensation « conséquente » pour les pertes encourues
Dans un possible règlement des litiges liés au pillage des ressources naturelles et à l’acquisition « frauduleuse » des actifs miniers et pétroliers par Dan Gertler, le CNPAV a rappelé avoir à maintes reprises demandé aux autorités congolaises : la reprise par la Gécamines sans condition des royalties dans les projets miniers KCC, MUMI et Metalkol ; la récupération totale et sans condition de tous les biens mal acquis par son réseau ; le paiement à la RDC d’une compensation « conséquente » pour les pertes encourues en raison des transactions décrites comme « opaques et corrompues » par le Trésor américain ; ainsi que l’ouverture des enquêtes judiciaires à l’égard tant du réseau Gertler que de ses complices politiques congolais ou étrangers.
« Vous écrivez au Président Joe Biden que vous êtes épris de justice et désireux d’installer un véritable État de droit. Nous ne demandons qu’à vous croire. Mais, quelle est la place de la justice dans l’accord avec Ventora, société de Monsieur Dan Gertler ? En lieu et place de mener une vraie enquête, la RDC s’est engagée, à travers cet accord, à s’abstenir de toute réclamation à l’égard de Monsieur Dan Gertler, et ce malgré les milliards perdus à la suite des transactions illégales et frauduleuses », s’est question le CNPAV.
Par ailleurs, il a jugé « incompréhensible » le fait que selon la lettre que Félix Tshisekedi a adressé à Joe Biden, il affirmait que « la maximisation des revenus de l’exploitation de nos ressources minérales » est son « cheval de bataille ». Pourtant Félix Tshisekedi « défend » un accord par lequel le trésor public – donc le contribuable congolais – s’engage à payer plus de 240 millions d’euros pour des investissements qui « n’ont mené à aucune réserve minière ou pétrolière certifiée aux standards internationaux ».
Pour le CNPAV, il est difficile de prétendre maximiser les recettes alors que le contrat « laisse » entre les mains de Dan Gertler des royalties dans trois grands projets miniers, soit 250.000 dollars américains par jour en moyenne pour les quinze années à venir, de l’argent qui « devrait revenir » à la Gécamines et au Trésor public.
« Vous justifiez votre demande de levée des sanctions contre Monsieur Dan Gertler au motif que celles-ci empêcheraient d’attirer desinvestisseurs demarque. Monsieur Dan Gertler est-il réellement un investisseur ? Quels projets miniers ou pétroliers a-t-il réellement développés en RDC ? Est-ce réellement les sanctions contre Dan Gertler qui créent l’anxiété des investisseurs ? N’est-ce pas la corruption généralisée qui ternit l’image du pays et plombe le climat d e s affaires ? », s’est interrogé le CNPAV.
Reconsidération de la demande de lever les sanctions contre Dan Gertler
En guise de recommandation au Président de la République démocratique du Congo, la coalition le CNPAV a indiqué que tant que « règnera l’impunité pour ces officiels congolais » qui sollicitent leur part auprès des investisseurs, les richesses congolaises continueront à être exploitées par des spéculateurs. En même temps, tant que les contrats miniers ne « supporteront pas la lumière du jour » puisque témoignant de la « complicité des dirigeants », le pays continuera à attirer les spéculateurs et corrupteurs.
« Tant qu’on continue à compenser royalement ceux qui ont déjà tant pillé, le Congo restera gangrené par la corruption. Tant que les politiciens deviendront l’avocat de ceux qui devraient être sous enquête judiciaire, le Congo restera ce pays riche dont la population vit dans une pauvreté indescriptible », a renchéri le CNPAV.
Dans le même registre, la coalition a exhorté Félix Tshisekedi de reconsidérer sa demande de lever les sanctions contre Dan Gertler, dont il reconnaît lui-même la légitimité et qu’elles constituent un levier pour pousser à un changement de comportement. Le CNPAV a aussi appelé le Chef de l’État congolais à rassurer l’opinion qu’il reste pleinement engagé dans la lutte contre la corruption, en exigeant notamment une « renégociation de fond en comble de cet accord ».
« Plus précisément, nous vous demandons d’exiger la compensation totale pour les pertes encourues ainsi que la rétrocession totale et à titre gratuit de l’ensemble des actifs que Monsieur Dan Gertler détient à ce jour : les permis miniers, les blocs pétroliers et surtout l’ensemble des royalties », a-t-il conclu.
Le Congo n’est pas à vendre et l’ensemble de ses organisations membres ont affirmé être prêts à mettre à la disposition de Félix Tshisekedi toutes les informations en leur possession sur le dossier Dan Gertler qu’ils suivent depuis une dizaine d’années.
Monge Junior Diama