Vingt-quatre organisations membres de la société civile congolaise et internationale dont Human Rights Watch, la LUCHA, The Sentry, Platform to Protect Whistleblowers in Africa, Filimbi, et Le Congo n’est pas à vendre, ont dans une lettre adressée aux secrétariats d’État et du Trésor américains, mercredi 08 mars, exprimé à nouveau leur inquiétude « grandissante » relative à un éventuel allègement des sanctions imposées à l’homme d’affaires israélien Dan Gertler.
Dans leur lettre de revendication, ces organisations ont estimé que les conditions légales permettant la levée de ces sanctions ne sont pas remplies et que les lever « nuirait » aux intérêts des États-Unis en matière de lutte contre la corruption, de promotion de la prospérité en République démocratique du Congo, et le maintien de la crédibilité et de l’efficacité d’instruments de sanctions comme le programme Global Magnitsky.
En décembre 2017, le département du Trésor américain avait sanctionné Dan Gertler et ses sociétés pour « corruption de haut niveau » en RDC. Selon le communiqué de presse du Trésor américain dans ce cadre, il était indiqué que « la RDC aurait perdu plus de 1,36 milliard de dollars » en conséquence de ses « accords opaques et entachés de corruption ».
« Après un lobbying persistant de la part des avocats de M. Gertler, la précédente administration lui a accordé une licence de dernière minute en janvier 2021. La portée de la licence était si étendue qu’elle annulait de fait les sanctions. De nombreuses organisations parmi les signataires ont alors demandé que la nouvelle administration révise d’urgence cette licence. Sous votre autorité, la licence a rapidement été révoquée en mars 2021, et qualifiée d’incompatible avec les intérêts importants de politique étrangère des États-Unis en matière de lutte contre la corruption à travers le monde », ont rappelé ces vingt-quatre organisations de la société civile.
Pour elles, en dépit d’appels à l’ouverture d’une enquête, il n’y a pratiquement pas eu d’informations sur la raison et les modalités d’octroi de cette licence en janvier 2021. Tout en épinglant, le fait qu’à la suite d’une action en justice intentée en vertu de la loi sur la liberté de l’information – Freedom of Information Act – par l’organisation, Citoyens pour la responsabilité et l’éthique à Washington – Citizens for Responsibility and Ethics in Washington, CREW -, le public avait alors « appris » que la précédente administration avait déjà « accordé » une autre licence plus restreinte à M. Gertler, apparemment à « des fins caritatives ».
« L’absence de reddition de compte et de transparence pour ces deux licences est particulièrement préoccupante puisque, selon notre compréhension, le gouvernement et la présidence de la RDC exhortent désormais le gouvernement américain à accorder de nouveau à M. Gertler une levée des sanctions », ont-elles expliqué.
Avant d’ajouter que la République démocratique du Congo agit ainsi à la suite de l’accord de règlement des litiges qu’elle a « signé » en février 2022 avec Ventora, la société Dan Gertler, alors qu’il n’a été que partiellement rendu public après une « forte pression » de la part du Fonds monétaire international et des organisations de la société civile.
Selon le Global Magnitsky Human Rights Accountability Act – loi Global Magnitsky sur la redevabilité en matière de droits humains – les sanctions imposées dans le cadre de ce programme ne peuvent être levées que ; s’il existe des informations crédibles selon lesquelles la personne visée ne s’est pas livrée aux activités pour lesquelles les sanctions ont été imposées ; si la personne a été poursuivie en justice pour les activités en question ; si la personne a fait preuve d’un changement significatif de comportement, a subi des conséquences appropriées pour ses actes et s’est engagée de manière crédible à ne plus se livrer à un tel comportement ; mais également si une telle levée est jugée conforme aux intérêts des États-Unis en matière de sécurité nationale.
« Aucun critère rempli »
Pour ces vingt-quatre organisations, Dan Gertler n’a rempli aucun de ces précédents critères établis par Global Magnitsky Human Rights Accountability Act – loi Global Magnitsky sur la redevabilité en matière de droits humains – car tout d’abord, de nombreuses organismes gouvernementaux et des tribunaux ont estimé crédibles les allégations selon lesquelles il était « impliqué » dans des actes susceptibles d’être sanctionnés.
« Par exemple, en octobre 2016, le Département américain de la Justice est parvenu à un accord avec une filiale du fonds d’investissement new-yorkais Och-Ziff accusée de corruption en RDC », ont-elles indiqué.
Och-Ziff a reconnu que son « partenaire en RDC », largement identifié comme étant Dan Gertler – y compris dans des documents judiciaires – avait « versé » de multiples pots-de-vin. Selon l’exposé des faits, « le partenaire en RDC, conjointement avec d’autres entités, a versé plus de cent millions de dollars de pots-de-vin à des responsables de la RDC afin d’obtenir un accès spécial et des tarifs préférentiels pour des opportunités dans le secteur minier contrôlé par le gouvernement en RDC ». Ainsi, bien que Dan Gertler n’ait pas été directement inculpé dans cette affaire, un juge américain a condamné une filiale d’Och-Ziff à base de ces informations.
Ensuite, selon ces mêmes organisations, Dan Gertler n’a « jamais été poursuivi en justice » pour son rôle présumé dans ces pratiques de corruption passées, et ce, malgré « les éléments de preuve rassemblés » lors de l’enquête concernant Och-Ziff.
Des enquêtes pénales menées aux États-Unis et au Royaume-Uni sur Glencore, une autre société ayant étroitement « travaillé » avec Dan Gertler, se sont concentrées essentiellement sur d’autres pays et d’autres faits. Des enquêtes ouvertes aux Pays-Bas et en Suisse sur les pratiques corruptrices présumées de Glencore en RDC, dans lesquelles est potentiellement impliqué Dan Gertler, « n’ont pas encore abouti », y comprise l’enquête du Royaume-Uni sur le troisième partenaire d’affaires de Dan Gertler, Eurasian Natural Resources Corp, elle également demeure toujours en cours.
« L’Accord ne fournit par ailleurs pas de perspective de redevabilité. Au contraire, il protège explicitement les sociétés affiliées à M. Gertler contre toute poursuite judiciaire en RDC, le pays auquel il a causé du tort. Au lieu de recevoir des réparations pour les milliards qu’elle a perdus, la RDC va effectuer un paiement net de 189 millions d’euros à l’entreprise de M. Gertler pour lui racheter des blocs d’extraction de pétrole et des permis d’exploitation minière que M. Gertler n’a pas pu revendre avant d’être sanctionné », ont-elles affirmé.
Tout en renchérissant leurs propos, en ajoutant que « l’un des fondements des sanctions, selon le communiqué de presse qui les annonçait, était que M. Gertler avait agi en qualité d’intermédiaire dans des accords miniers et pétroliers opaques et corrompus qui auraient entraîné des pertes de 1,36 milliard de dollars pour l’État entre 2010 à 2012 ».
Cela représente, selon ces vingt-quatre organisations, « près de la moitié du budget de la santé du pays sur ces trois années », un budget bien en-deçà de la moyenne régionale et des dépenses par habitant identifiées comme étant le minimum pour fournir des soins de santé adéquats en RDC selon une étude soutenue par l’Organisation mondiale de la Santé.
« Il est difficile de comprendre pourquoi la RDC devrait payer quoi que ce soit à M. Gertler alors que l’étendue et la nature de la corruption qu’il a facilitée ont probablement eu un impact considérable sur les droits humains de nombreux Congolais », se sont-elles indignées.
En outre, concluant la première partie de leur lettre adressée aux deux secrétariats américains, les organisations de la société civile ont affirmé que Dan Gertler n’est apparemment pas parvenu à démontrer qu’il a changé de comportement de manière significative. Des éléments de preuve publiés par la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF) et par Global Witness, sur la base d’informations fournies par des lanceurs d’alerte, ont montré que les flux de revenus de Dan Gertler continuent d’être « opaques » et à la suite de leurs révélations, les deux lanceurs d’alerte ont été condamnés à mort en RDC et sont toujours sous le coup de cette condamnation à ce jour.
« Plutôt que de subir les conséquences appropriées de ses actes, M. Gertler va continuer à percevoir, pendant au moins une décennie, une moyenne de 200 000 dollars par jour de royalties provenant de trois projets miniers très lucratifs. L’Accord confirme la validité de ces transactions, en dépit de la manière douteuse dont M. Gertler les a conclus. Si M. Gertler est en droit de contester les allégations portées contre lui, son absence totale de contrition ou d’introspection apparente fait qu’il est difficile d’affirmer qu’il s’est « engagé de manière crédible à ne plus recourir à ce genre de pratiques à l’avenir », ont-elles conclu.
Rappelons qu’exceptés Human Rights Watch, la LUCHA, The Sentry, Platform to Protect Whistleblowers in Africa, Filimbi, et Le Congo n’est pas à vendre; d’autres organisations telles que AFREWATCH, Cadre de Concertation de la société civile de l’Ituri sur les ressources naturelles (CdC/RN), Centre congolais pour le Droit du développement durable (CODED), Citizens for Responsibility and Ethics in Washington, CONGO NOUVEAU, FACT Coalition, Freedom House, Human Rights First, Initiative pour la Bonne Gouvernance et les Droits Humains (IBGDH), Les Congolais Debout, Mouvement Justice en Action, Mouvement National des Consommateurs Lésés, Never Again Coalition, Open Society Foundations, Publiez Ce Que Vous Payez, Resource Matters, Rights and Accountability in Development (RAID), Transparency International-US UNIS ont également signé cette lettre.
Monge Junior Diama