Fin janvier 2025, la LICOCO (Ligue Congolaise de Lutte contre la corruption) avait jeté le pavé dans la marre en dénonçant l’entreprise Traxys basée au Luxembourg, ainsi que deux autres sociétés, Mineterra et Sunrise, d’être au centre de la fraude des minerais du Masisi, particulièrement le coltan, qu’elles captent au Rwanda, via des sociétés écran, pour exportation. A la mi-février, ces dénonciations lui avaient valu un droit de réponse de la part de l’entreprise luxembourgeoise qui, s’inscrivant en faux contre les accusations jugées incendiaires et exprimées en termes virulents, s’était cependant, sur fond de son éthique, prévalue être championne de la due diligence et de la traçabilité des minerais et des métaux eu égard aux zones touchées par les conflits et à haut risque. Outre le fait que dans sa réplique, la Licoco avait qualifié de frivoles les propos de Traxys, investisseur minoritaire aux côtés de Edge Wood dans GAM (Global Advanced Metal), celle-ci vient de se voir, de par le rapport de l’ONG britannique Global Witness publié ce 15 avril, rabattre le caquet parce qu’étiquetée comme acheteur avéré du coltan de conflit introduit en contrebande de la RDC vers le Rwanda.
Pourquoi le Luxembourg a fait retarder autrefois les sanctions européennes contre le Rwanda à travers ses officiers impliqués dans la guerre en RDC et les dirigeants du M23 ? Pourquoi, malgré sa promesse, l’Union européenne marque jusque-là les pas pour réviser, mieux révoquer, l’accord de partenariat stratégique sur les matières premières signé avec le Rwanda en février 2024 ?
Le pot aux roses n’est pas à découvrir : tout tourne autour des minerais stratégiques, dont le coltan, que regorge le sous-sol congolais. Après son rapport d’avril 2022 soulignant que 90 % des minerais exportés par le Rwanda proviennent de la RDC, l’ONG britannique Global Witness vient, encore une fois, de crever l’abcès, confirmant, de ce fait, les dénonciations faites fin janvier par l’ONG congolaise Licoco mettant Traxys, Mineterra et Sun Rise au centre de la fraude des minerais du Masisi, dans la province congolaise du Nord-Kivu. Leur particularité : opérer derrière les sociétés écran installées au Rwanda, à savoir respectivement African Panther Resources Limited, Eastern Group Mineral et le comptoir Sun Rise.
Dans son rapport publié ce 15 avril, Global Witness n’y va pas avec le dos de la cuillère. Il indique, sa nouvelle enquête faisant foi, que le négociant international de matières premières, en l’occurrence Traxys, qui pèse en termes de plusieurs milliards de dollars US, a acheté du coltan de conflit introduit en contrebande de la RDC vers le Rwanda. Soit 280 tonnes de coltan en 2024.L’ONG britannique ne fait pas d’accusations en l’air. En plus de documents douaniers, elle s’appuie sur des données commerciales qui ont fait l’objet d’analyse minutieuse. Et aussi sur le témoignage de deux trafiquants de coltan qui sont d’avis qu’une part importante du coltan acheté par Traxys au Rwanda est liée à la guerre en cours dans l’est de la RDC. Et de soutenir : « Traxys a intensifié ses achats de coltan au Rwanda en 2023 et est devenu l’un des plus gros acheteurs de coltan du Rwanda en 2024.
Fin 2023, il était déjà clair que le coltan de conflit de la région de Masisi était régulièrement introduit en contrebande dans le pays et blanchi dans les chaînes d’approvisionnement, selon les experts de l’ONU ».L’affirmation de Global Witness est d’autant vraie que le prétexte de la pandémie de COVID-19 et des limitations de capitaux avancé par African Panther, paravent de Traxys, pour expliquer la baisse de ses exportations de coltan entre 2020 et 2023, ne tient pas la route. Les statistiques de l’organisme américain US GEOLOGICAL SURVEY en termes de contenu métal du tantale sont assez explicites à cet effet. Il se dégage de ces statistiques que, malgré le COVID-19 qui avait également frappé la RDC et asséché le flux des capitaux, celle-ci a tenu le haut du pavé en termes d’exportations de coltan, laissant bien derrière le Rwanda.
Mais, il se constate qu’à partir de juin 2022 qui coïncide avec la prise de Bunagana par les troupes rwandaises et leurs supplétifs du M23, puis la chute de certaines contrées du Masisi en 2023, la production du Rwanda a commencé à augmenter pour atteindre le summum en 2024 avec le contrôle de la mine de Rubaya fin avril. Ces statistiques confirment les résultats de l’enquête de Global Witness selon lesquels « les exportations de coltan d’African Panther ont atteint des volumes sans précédent en 2024, dépassant le total des volumes d’exportation enregistrés au cours des quatre années précédentes ». Et cette augmentation des exportations, ainsi que le souligne le rapport, coïncide avec l’escalade de la guerre au Nord-Kivu et l’intensification de la contrebande de coltan de conflit en provenance de Rubaya, ce qui suggère qu’une part importante des exportations d’African Panther en 2024 a été introduite clandestinement depuis les zones de conflit en RDC.
Evoqués par Global Witness, des experts de l’ONU sont, pour leur part, très affirmatifs. Ils rapportent qu’entre mai et octobre 2024, au moins 120 tonnes de coltan ont été introduites en contrebande chaque mois de Rubaya vers le Rwanda, entraînant la « plus grande contamination des chaînes d’approvisionnement en minéraux » dans la région des Grands Lacs africains enregistrée au cours de la dernière décennie. Ce qui laisse entrevoir que les chiffres des exportations minières du Rwanda ne correspondent pas à sa production réelle, même avant la dernière hausse des exportations.
Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ITSCI, dont Traxys et African Panther sont membres, semble avoir été frappé de cécité pour laisser blanchir au Rwanda des minéraux de contrebande en provenance de la RDC. Et comptant, entre autres, Traxys comme investisseur, GAM se doit de tirer toutes les conséquences ; son partenaire étant impliqué dans les crimes de guerre.Par ailleurs, l’Union européenne, malgré ses valeurs et son éthique, est loin de mettre fin à son partenariat stratégique sur les matières premières avec le Rwanda et à tout projet stratégique lié aux minéraux. Elle se montre aussi complaisante à l’égard des entreprises comme Traxys, continuellement mise à nu pour achat avéré des minerais pillés en RDC.
Paul Paluku Kambale