C’est un rapport qui vient renforcer l’hypothèse selon laquelle, le Rwanda bâtît sa puissance économique sur les ressources naturelles « pillées » en République démocratique du Congo. Publié au mois d’avril dernier – soit trois mois plus tôt la déclaration de Félix Tshisekedi accusant le pays de Paul Kagame d’avoir des intérêts économiques illicites au Congo – le rapport de l’ONG internationale Global Witness, axée sur « comment un système de diligence raisonnable semble blanchir les minerais de conflit », révèle que sur les 100% de coltan, étain et tungstène exportés par le Rwanda, 90% ont été exploités clandestinement en RDC.
Se basant sur ce que doit être le travail de la laverie « ITSCI » – qu’est un mécanisme de fourniture des informations fiables sur la traçabilité des minerais 3T –, Global Witness constate que ce système a beaucoup plus facilité le blanchiment de minerais de contrebande, en provenance des mines contrôlées par des groupes armés au profit du Rwanda. Il est dit dans ce rapport que 90% des quantités de coltan (principale source du tantale), d’étain et de tungstène, trois minerais communément appelés « minerais 3T », exportés par le Rwanda y ont été introduits illégalement à partir de la RDC.
Cette ONG britannique, spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles des pays en développement et la corruption politique qui l’accompagne, a tenu à signifier que « les métaux issus de la fusion des minerais 3T sont très largement utilisés dans les équipements électroniques comme les téléphones portables, les ordinateurs et les systèmes automobiles ou aéronautiques ».
De la traçabilité à l’inefficacité du programme
Global Witness démontre que l’Initiative de la chaîne d’approvisionnement de l’étain (ITSCI/ International Tin Supply Chain initiative), un mécanisme ayant pour objectif de fournir une chaîne de traçabilité fiable des minerais 3T, se transforme en pont de la contrebande et du blanchiment de minerais extraits en RDC. L’ONG ajoute que sur les failles du mécanisme en RDC, le plus poignant se trouve dans la région de Nzibira où un centre de négoce représentait près de 10 % des minerais étiquetés dans la province du Sud-Kivu en 2020.
« Un acteur clé du lancement du programme ITSCI au Rwanda estime que seulement 10 % des minerais exportés par le pays avaient réellement été extraits sur son territoire, les 90 % restants ayant été introduits illégalement à partir de la RDC », précise l’étude.
Des avertissements aux multinationales
Pour s’assurer de la véracité des résultats de son enquête, Global Witness s’est servi des recherches de terrain dans plus de dix zones minières à travers le Nord et le Sud-Kivu en République Démocratique du Congo ainsi que sur des entretiens menés avec plus de 90 membres du Gouvernement, du secteur minier, de la société civile mais également du monde universitaire, et enfin sur des dizaines de vidéos filmées par des chercheurs locaux.
Deux sources de l’industrie minière se sont confiées à propos des avertissements lancés à des grandes entreprises internationales de la Tech. « Averties à plusieurs reprises, depuis 2013, des délégations d’entreprises internationales, dont Apple et Intel, que les minerais 3T provenant de la contrebande représentaient jusqu’à 90 % des minerais exportés du Rwanda, en leur fournissant des preuves ». Ont-elles dit.
Ces mêmes sources ont ajouté avoir « alerté les groupes Motorola, Samsung, KYOCERA AVX Components et Kemet Corporation contre le risque élevé de recevoir des minerais de contrebande provenant de la RDC lorsqu’elles s’approvisionnent au Rwanda ».
L’étude de Global Witness a révélé également que les deux gouvernements, de la RDC et du Rwanda, sont au courant de la situation mais choisissent de ne pas agir. « Le Gouvernement rwandais a parfaitement conscience que les volumes de production sont artificiellement gonflés par la contrebande », affirme Global Witness indiquant que ni le Gouvernement ni le programme ITSCI ne publie des données relatives à la production à l’échelle des mines qui permettraient de prouver le contraire.
Deux poids deux mesure
Parmi les géants de ces sociétés exportateur des minerais frauduleux, à l’exemple de Minerals Supply Africa (MSA), qui pendant plusieurs années était le principal exportateur de minerais 3T du Rwanda, ne connait aucune résistance jusque-là. À en croire Global Wintess, seule les contrebandes mineures sont confrontées à cette mesure « si l’ITSCI a bien pris des mesures contre certains cas de contrebande mineurs, les grands exportateurs de minerais frauduleux n’auraient rencontré aucune résistance ».
Au premier trimestre 2021, la production des mines validées de la zone de Nzibira représentait moins de 20 % des 83 tonnes de minerais 3T étiquetés localement. Après avoir entendu des fonctionnaires, des négociants, des exploitants et d’autres acteurs, l’ONG confirme que « la majeure partie des minerais étiquetés proviennent de mines non validées situées sur les territoires voisins, y compris des mines occupées par des milices et mobilisant fréquemment le travail d’enfants ».
Par ailleurs, des failles similaires du programme ITSCI ont été répérées à sept autres points d’étiquetage dans le Nord et le Sud-Kivu.
Toutes les parties se disent « non coupable »
« Avec ses effectifs limités et l’insuffisance de ses contrôles, l’ITSCI ne dissuade pas le blanchiment de minerais mené par les exploitants et les négociants. D’autres sources affirment en outre que, sans autorisation, des équipes de terrain d’ITSCI collaborent activement avec les exploitants et les autorités pour blanchir des minerais, voire dans certains cas, pour prendre leur commission sur ces recettes illégales. Les agents de l’État, généralement mal payés, compensent leur salaire en étiquetant un maximum de sacs de minerais, quelle qu’en soit la provenance. », a révélé Global Witness.
L’ITSCI par l’entremise de ses responsables nie formellement son implication dans la facilitation du blanchiment à grande échelle de minerais de contrebande au Rwanda et démente toute allégation de faute intentionnelle ou de collusion.
Du côté Rwandais, son office des mines, du pétrole et du gaz, affirme travailler en toute conformité avec la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) et en suivant les lignes directrices de l’OCDE.