Un nouveau rapport du groupe d’experts des Nations Unies sur la situation en République démocratique du Congo, publié en mi-juin, a révélé les risques que la joint-venture issue du partenariat congolo-émirati, Primera Gold, serve de canal officiel de blanchiment de l’or illégal, alors que celle-ci est bénéficiaire du monopole d’exportation de l’or artisanal congolais à des taux préférentiels pendant 25 ans.
« Il [ndlr. groupe d’experts] a confirmé que la politique de diligence raisonnable de Primera Gold DRC couvrait les éléments requis par les instruments nationaux et internationaux. Toutefois, il a fait remarquer que dans la pratique, l’application devrait faire l’objet d’un suivi, car c’est là qu’il peut y avoir des problèmes », expliquait le groupe d’experts onusiens, tout en ajoutant que Primera Gold s’est appuyé sur la traçabilité effectuée par le service d’assistance et d’encadrement de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle qui « ne surveille qu’un nombre limité » de sites d’extraction de l’or.
Pour les experts, il était donc fort possible que la chaîne d’approvisionnement de Primera Gold DRC contienne de l’or produit à partir de sites qui restent sous le contrôle de groupes armés, y compris dans le territoire de Fizi. Et selon les informations rapportées toujours par ce rapport, les preuves recueillies indiquaient déjà que plusieurs fournisseurs de Primera Gold, s’approvisionnaient sur des sites illégaux dans les territoires de Fizi et de Shabunda, situés dans la province du Sud-Kivu.
Réagissant à ces nouvelles révélations accablantes contre la société minière Primera Gold, l’avocat, défenseur des droits de l’Homme et analyste principal de la gouvernance des industries extractives en République démocratique du Congo, Jean-Pierre Okenda a affirmé que ce rapport des experts des Nations unies confirme leurs préoccupations quotidiennes – qui caractérisent assez souvent le montage des projets et les négociations des contrats – qui touchent à la partie Est de la RDC.
« Nous avons exprimé avec les amis de la CNPAV, les mêmes préoccupations lorsque toute une série d’accords avait été signée avec le Rwanda, à l’époque. Nous avons décrié les procédures, qui ne respectaient pas la loi, mais aussi le fond […] Pour nous, ce n’est pas une grande surprise, assez souvent c’est le cas », a-t-il lâché.
Revisiter ou annuler le contrat avec Primera Gold
Au micro de MINES.CD, Jean-Pierre Okenda a suggéré la revisitation du contrat sur Primera Gold – comme tous les autres qui sont signés à travers le pays, qui comportent des dispositions léonines – voir même l’annuler pour assurer que finalement la République démocratique du Congo gagne en retour sur l’exportation de ses minerais.
« Au-delà de toutes les questions, ce contrat [ndlr. Contrat de Primera Gold] pose beaucoup de problèmes. Le premier problème c’est qu’on est entrain de consacrer le monopole à ces deux sociétés [ndlr. Primera Gold et Primera Metals] là. Le monopole de quoi ? Le monopole de l’exportation des brits. Quand on parle des brits, c’est-à-dire que vous êtes entrain d’exporter les minerais sans y ajouter une valeur c’est-à-dire que votre pays va se limiter à ramasser ou à collecter des taxes, alors que le pays exportateur, c’est lui qui va gagner en réalité et fait la vraie richesse. Bref, notre richesse est exporté pour aller enrichir d’autres pays », a-t-il souligné, tout en épinglant le fait que c’est un problème fondamental de consacrer plus de deux décennies d’exportation des richesses nationales. Une réalité pas si différente de celle que le pays a connu pendant l’époque coloniale sous domination belge.
Selon cet analyste principal de la gouvernance des industries extractives en RDC, il ne suffit pas de dire que le contrat est profitable pour convaincre ; mais il faut plutôt démontrer l’apologie faite sur ce contrat par des chiffres réels et convaincants.
« On a besoin des chiffres. Est-ce qu’on peut nous expliquer en gros sur 25 ans, quelle est la richesse que cette société va produire ? Quel est le coût ? C’est quoi l’investissement ? Quelle est la part qui revient à la RDC ? Quelle est celle de Primera ? Pour nous, en réalité c’est une question de fond. Au regard de tout ceci, on peut même se questionner sur quoi se-t-on basé pour accorder des taux préférentiels à Primera. Est-ce que c’est parce que le Rwanda a des conditions attrayantes ? Ce n’est pas suffisant », s’est-il questionné.
« L’hypothèse des experts des Nations unies n’est pas à exclure »
Dans un autre registre, Jean-Pierre Okenda a invité les autorités congolaises à mettre en place une politique de rationalisation d’exploitation artisanale. A cet effet, il a affirmé souhaiter une politique inclusive avec des spécificités sur des filières, en lieu et place des accords qui « octroient aux investisseurs des taux préférentiels ».
Concluant son intervention à ce sujet, il a expliqué que le contexte de création de Primera, « marqué notamment par la violation des dispositions réglementaires au niveau de la RDC, dont particulièrement, le code minier » – s’agissant notamment de la concession des taux préférentiels – laisse penser que cette hypothèse du groupe d’experts des Nations unies « n’est pas totalement à exclure ».
« Les bénéficiaires réels de Primera ne sont pas non plus connus. Et le gouvernement n’a pas du tout communiqué là-dessus et même le contrat lui-même, nous l’avons obtenu moyenant des pressions sur le gouvernement […] L’opacité qui a caractérisé la négociation, l’intention de violer la loi, le fait que les propriétaires effectifs de la société ne sont pas connus, pour moi, ça pose déjà une préoccupation et ça ne peut pas exclure l’hypothèse du groupe d’experts. », a-t-il renchéri pour étayer ses propos.
Jean-Pierre Okenda a également exprimé son indignation quant au fait le gouvernement congolais a littéralement ignoré les raffineries qui existent déjà – notamment dans le Kivu – pour venir tout simplement avec un partenaire – qui lui n’a non seulement aucune obligation de raffiner l’or et les 3T et les transformer dans le territoire national – « il y a de quoi se poser des questions ».
Pour rappel, dans leur rapport, le groupe d’experts des Nations unies affirmai que, bien que n’ayant pas de preuves indéniables d’activités illégales menées par AuricHub en RDC, il notait que « la raffinerie n’a pas encore fait l’objet d’un audit » des Émirats arabes unis ou d’un audit d’approvisionnement responsable reconnu à l’échelle internationale.
Monge Junior Diama