Le rapport publié récemment par la Coalition pour la Gouvernance des Entreprises Publiques (COGEP) n’a pas cessé de dévoiler ses mystères. Ce dimanche 22 mai, la rédaction de MINES.CD se penche sur l’assertion concernant le fameux partenariat entre la Gécamines, géant aux pieds d’argile, et la société Evelyne Investment. D’abord, la COGEP présente Evelyne Investment comme « une compagnie peu connue et créée en septembre 2018, par Mr Elie Yohann Berros et est détenue à 51% par le Groupe Kanzak Eureusian Resource et 49 % restant par Yoham Berros ».
Cette « société écran » – comme vous le constaterez plus loin – a bénéficié via un « contrat d’amodiation » des titres miniers de cuivre et de cobalt qui couvrent, révèle le rapport, un total de 29 carrés miniers dont « les plus convoités en raison de l’énormité des réserves en cobalt ».
« Par le truchement d’un contrat d’amodiation signé avec la GÉCAMINES en septembre 2018, Evelyne a en sa possession un portefeuille des actifs de cuivre et de cobalt couvert par 29 carrés miniers dont les rejets du Sud et Nord Mupine, les rejets de Dikulue du sud et nord et de potopoto sous-jacent les réserves de Kamoto. Certains de ces carrés miniers sont les plus convoités en raison de l’énormité des réserves en cobalt », lit-on.
« Irrégularités dans la cession et bradage des actifs »
Le rapport « Gécamines : ce que cache le gré à gré » explique que le contrat avec la société Evelyne Investment augure un « cas flagrant de violation intentionnelle » des instruments juridiques et administratifs par les gestionnaires de la Gécamines et ce, se fondant sur l’actuel code minier.
La signature du contrat avec Evelyne parait être un de cas flagrant de violation intentionnelle des dispositions légales par les mandataires de la Gécamines après la publication du code minier révisé de 2018. Le code révisé intègre les dispositions de la loi de 2008 portant règles applicables en cas de désengagement de l’Etat des entreprises du portefeuille mais jamais observées par les mandataires des entreprises publiques. Le recours obligatoire à l’appel d’offres figure parmi les innovations de la législation minière révisée.
Selon le code minier, « Tout achat ou cession des parts ou d’un droit minier, appartenant à l’État, à la province, à une Entité Territoriale Décentralisée ou à une entreprise du Portefeuille, est soumis à un appel d’offres, conformément à la procédure prévue par la législation congolaise et par la pratique minière internationale en la matière ».
La loi sur le désengagement de l’État des entreprises du portefeuille abonde dans le même sens car elle couvre toutes les formes de désengagement de l’État. Bien que non explicitement repris, la location des droits miniers rentre dans la catégorie de contrat de concession définit comme « contrat par lequel une personne morale de droit public confie à une personne morale, de droit privé ou public, la gestion et/ou l’exploitation d’une infrastructure ou d’une activité contre le paiement d’une redevance et la prise en charge totale ou partielle des risques liés à l’investissement.
« De toute évidence, le contrat de location entraine ipso facto la cession des droits miniers à Evelyne et désengage l’État des droits miniers en échange d’un paiement. A l’instar de Metalkol, les mandataires de la Gécamines ont cédé les actifs miniers de gré à gré en violation de règles légales qui subordonne toute cession à un appel d’offres. Les actifs miniers dont certains sont très convoités ont été cédés à une entreprise créée à peine un mois sans évaluation préalable de leur valeur ni approbation du gouvernement réuni en conseil des ministres en violation de la loi », insiste la COGEP.
La sauvegarde des intérêts de l’Etat par la recherche des conditions les plus avantageuses fait partie des conditions et modalités de cession. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la loi impose le recours obligatoire à l’appel d’offres pour toute cession d’actifs ou parts sociales.
« Cession irrationnelle des titres et indices sérieux de corruption »
Toujours formelle, la COGEP affirme réitère que « la cession de gré à gré des actifs miniers dont certains situés dans une zone les plus riches à une société créée un mois plutôt et n’ayant aucune expérience prouvée est non seulement irrationnelle, mais également suscite des interrogations sur la réelle motivation des mandataires de la Gécamines ».
« À peine créée, seulement un mois après, Evelyne Investment a signé un contrat d’amodiation avec la Gécamines portant sur l’exploitation des actifs miniers importants. Certains des permis cédés à l’Entreprise Evelyne sont adjacents à certains des plus précieux actifs miniers de la RDC, dont le projet Kamoto Copper Company (KCC) de Glencore, et se situent dans l’une des zones les plus riches en cuivre et en cobalt de RDC. En toute logique, ces permis devraient être extrêmement lucratifs, bien que leur valeur véritable doit faire l’objet d’une évaluation plus approfondie des gisements et des rejets comme dit plus haut », renchérit le rapport.
En plus, la COGEP poursuit que « les réserves cédées ne sont pas quantifiées ni certifiées. C’est Evelyne Investment qui quantifiera et certifiera les réserves à exploiter en lieu et place d’une évaluation indépendante préalable. Les irrégularités constatées, l’opacité et la précipitation avec laquelle les mandataires de la Gécamines et les autorités gouvernementales ont cédé les actifs miniers en violation des lois suggèrent que ces derniers ont abusé collectivement de leurs pouvoirs au détriment de la RDC et de la société Gécamines. Les irrégularités ressemblent fortement à celles entourant la cession des permis à Metalkol. Le mode opératoire est le même que les autres transactions décriées notamment dans les rapports publiés par le Panel des Progrès en Afrique et la Coalition Congo n’est pas à vendre dans son rapport « des milliards perdus ».
Des titres miniers riches à vil prix
La COGEP martèle que « les actifs précieux sont vendus à vil prix à l’intermédiaire dépourvu de toute capacité technique et financière requise qui à son tour les revend dans un temps voisin à une société multinationale ». Le 7 novembre 2018, le rapport indique que « la Gécamines a transféré ces permis renfermant des riches réserves de cuivre et de cobalt à Evelyne Investissement SAU, une entité créée deux mois plus tôt. En échange, Evelyne a effectué un premier versement de 10 millions de dollars, selon les documents. Plus tard dans le même mois, la Gécamines a approuvé la vente par Berros de 51 % d’Evelyne à ERG pour 50 millions de dollars sans objection. »
Et pourtant, poursuit le rapport, « dans toutes les autres transactions similaires, la Gécamines a systématiquement bloqué tout changement de contrôle dans la co-entreprise en exerçant son droit de préemption. C’est le cas des ventes par McMoran Freeport de ses actions dans le projet Tenke Fungurume Mining (TFM)55 et des actions du Groupe Metorex dans le projet Ruashi Mining ou encore dans le projet MMG etc56. Pour tous ces cas, la GECAMINES a exigé des paiements en échange de la renonciation de son droit de préemption. Dans le cas d’Evelyne, il ne s’agit pas d’un quelconque droit de préemption mais plutôt en tant que locataire des permis, Evelyne ne peut céder des actions sans approbation préalable de la GECAMINES ».
Pourquoi la Gécamines n’a pas directement fait louer ses permis à ERG ou pourquoi ERG a préféré passer par un intermédiaire ?, s’interroge la COGEP avant de soutenir que « le fait qu’ERG est le nouveau propriétaire d’Evelyne et de ses permis miniers soulève d’importantes préoccupations. En effet, ERG a des antécédents en matière de rachat d’entreprises appartenant à Dan Gertler sur le fond de graves soupçons de corruption, et qui lui ont valu une enquête criminelle par le Bureau de Fraudes, pot-de-vin et Corruption au Royaume-Unis depuis 2013. »
Evelyne Investment : « Société écran »
De nombreux éléments, en possession des enquêteurs, laissent penser qu’Evelyne Investment serait une société écran. « En effet, Evelyne Investment fait partie de deux entreprises introuvables et n’ayant pas de siège social en RDC selon l’ITIE. Elle n’a effectué aucune déclaration à l’ITIE pourtant obligatoire pour toutes les entreprises du secteur extractif. Un autre rapport ITIE indique qu’Evelyne n’a pas figuré sur la liste des partenaires en amodiation avec la Gécamines en 2018, et des sources concordantes indiquent qu’elle n’a pas figuré sur les listes 2019 et 2020 », expliquent les enquêteurs.
Et de conclure : « Hormis le contrat divulgué, les opérations d’Evelyne ne sont pas identifiables en RDC. Selon un rapport de Global Witness, l’origine de 10 millions d’acompte de pas de porte versé à la Gécamines demeure un mystère car les dossiers bancaires d’Evelyne Investment attestent qu’il n’y a eu aucune activité́ sur son compte jusqu’au 9 octobre 2018. L’obsession des mandataires de la Gécamines à céder les précieux actifs de gré à gré et en toute opacité à une entité inconnue et ne disposant pas d’adresse physique en RDC suggère une complicité qui malheureusement préjudicie la GÉCAMINES et de l’État congolais ».