Malgré des milliards générés par l’industrie minière, les populations vivant à l’ombre des gisements congolais restent privées des infrastructures les plus élémentaires. En cause : une gestion opaque et chaotique de la dotation de 0,3 % minimum du chiffre d’affaires imposée aux entreprises. La Cour des comptes tire la sonnette d’alarme.
À Kolwezi, capitale minière du Lualaba, le contraste est saisissant. D’un côté, les mastodontes industriels engrangent des milliards ; de l’autre, les villages riverains survivent sans eau potable, sans routes dignes de ce nom, sans écoles. Pourtant, une réforme ambitieuse aurait dû changer la donne.
En effet, depuis 2018, le Code minier congolais impose aux sociétés extractives de reverser au moins 0,3 % minimum de leur chiffre d’affaires à des projets communautaires. Une avancée saluée à l’époque comme un tournant. Mais la réalité, cinq ans plus tard, est tout autre : les populations attendent toujours les fruits de cette manne, siphonnée par des pratiques illégales et une gouvernance défaillante.
Une belle idée… trahie sur le terrain
À l’origine, la logique était limpide : faire financer par les entreprises minières des infrastructures sociales de base à travers des “organismes spécialisés” appelés DOTS (Dotations de 0,3 %). Routes agricoles, forages, dispensaires, écoles… les projets devaient répondre aux besoins urgents des communautés locales.
Mais entre 2018 et 2023, le rêve a tourné court. D’après le rapport explosif de la Cour des comptes consulté par MINES.CD, sur les plus de 98 milliards USD de chiffre d’affaires déclaré par les entreprises minières à la Direction générale des impôts (DGI), seulement 213 millions USD ont été transmis aux DOTS. Or, au moins 310 millions USD auraient dû l’être. Soit un écart de 97 millions USD.
Dépenses fantaisistes, appels d’offres absents
Les irrégularités documentées dans le rapport sont légion. À la DOT SMCO, le président aurait utilisé 47 500 USD pour des déplacements personnels, sans trace de justification. La DOT RUBAMIN, elle, a attribué un marché de 300 lampadaires pour 300 000 USD, sans appel d’offres. Dans de nombreux cas, les paiements ont été effectués avant même le début des travaux, et les avances versées ont largement excédé les plafonds légaux.
En tout, sur les 46 DOTS audités dans le Haut-Katanga et le Lualaba, la majorité affiche de graves anomalies de gestion, laissant peu de doute sur la généralisation des abus.
Des communautés abandonnées à leur sort
Faute de structures de mise en œuvre efficaces – 17 DOTS n’ont pas de Cellules de Gestion de Projets, 12 n’ont pas d’Unités d’Exécution – les projets communautaires ne voient pas le jour. À Kolwezi, non loin du site de Kamoa Copper, les habitants continuent de s’approvisionner en eau dans des rivières polluées. Et pour cause : l’entreprise a minoré son chiffre d’affaires de près de 3 milliards USD auprès des DOTS, réduisant d’autant les montants reversés.
La conséquence ? Un développement à deux vitesses, entre les compagnies minières prospères et les communautés qui stagnent.
Un Comité de supervision… absent du terrain
Censé assurer la surveillance des flux financiers et des projets, le Comité de Supervision de la dotation minière fait figure de spectateur impuissant. Aucun mécanisme de vérification des chiffres d’affaires n’a été mis en place. Les sanctions prévues par le Code minier – comme la suspension des activités en cas de non-respect – n’ont jamais été appliquées.
Cette défaillance systémique alimente un sentiment d’injustice profonde, nourri par l’opacité et l’impunité.
Vers un sursaut ?
Dans ses recommandations, la Cour des comptes appelle à renforcer les capacités de gestion des DOTS, à sanctionner les détournements, et surtout à vérifier systématiquement les déclarations financières des entreprises. Reste à voir si ces propositions sortiront du tiroir. Sans volonté politique, la dotation minière continuera de se dissoudre dans les méandres de la mauvaise gouvernance.
À suivre : Comment 97 millions USD se sont volatilisés – la grande évasion des entreprises minières
La Rédaction | mines.cd