Située au nord-est de la République démocratique du Congo, limitrophe de deux régions ougandaises et d’une province sud-soudanaise, la province de l’Ituri – issue de la grande province Orientale démembrée – fait face à une insécurité loin de s’arrêter. Avec ses plaines riches en pétrole, en bois, en diamants, en coltan et en or, l’Ituri assiste, presqu’impuissant, à une prolifération – au cours de ces deux dernières décennies – des groupes armés. Pendant une longue période, l’or est resté et est une source de financement majeure tant pour les factions de la CODECO – un groupe armé très impliqué dans le massacre des civils – que pour Zaïre.
Dans une correspondance adressée le 10 juin au Président du Conseil de sécurité des Nations-Unies, dont une copie est parvenue le 27 juin à MINES.CD, les experts de l’ONU sur la RDC notent que les dirigeants de l’URDPC/CODECO ont réaffirmé que « conserver le contrôle des mines d’or était une priorité. Zaïre a également fait de la prise de contrôle de nouvelles mines d’or une priorité, en particulier autour de Mongbwalu », une commune rurale située à environ 85 km de la ville de Bunia. Zaïre et les factions de la CODECO ont mené des attaques de représailles contre des mines d’or et des centres de négoce de l’or dans leurs zones d’opérations respectives, en particulier fin 2021 et début 2022 dans le territoire de Djugu.
L’URDPC/CODECO et la FDBC ont généré des fonds en 2021 et 2022 en extrayant de l’or, ainsi qu’en attaquant et en pillant des centres de négoce d’or et des mines et en prenant des orpailleurs en otage. Les combattants de Zaïre ont également exploité de l’or, attaqué et, dans certains cas, pris le contrôle de mines d’or et de centres de négoce dans des zones précédemment occupées par les factions de la CODECO, et vice-versa.
À titre d’exemple, le rapport des experts mentionne que le groupe armé Zaïre a pillé de l’or au cours d’une attaque menée le 4 décembre 2021 en vue de prendre le contrôle de Lodjo, une ville d’extraction et de négoce de l’or. Lorsque les factions de la CODECO ont riposté les 22 et 23 décembre, en attaquant les mines de Lodjo, de Matoro et d’Andisa, elles ont également pillé de l’or et brûlé des habitations. « Les deux parties ont continué de prélever des taxes auprès des civils afin de générer des fonds », révèle l’ONU.
Des commandants et des ex-combattants de Zaïre ont déclaré au Groupe d’experts que l’exploitation de l’or, y compris par les combattants de Zaïre, dans les mines de Pilipili, Pluto, Lodjo et Dala et dans les mines environnantes, avait permis au groupe de générer des ressources au cours de la période considérée. Le Groupe d’experts observe que la production et le commerce de l’or génèrent plusieurs centaines de milliers de dollars par an dans ces terres riches en or du territoire de Djugu.
« Certains chefs de Zaïre percevaient un pourcentage de la production d’or. Un ex-combattant versait 15 % de sa production hebdomadaire d’or au groupe. Toute personne qui ne s’acquittait pas de son obligation de payer s’exposait à des punitions. Pharaon effectuait des patrouilles dans les mines d’or et collectait lui-même de l’or. Au mois de novembre 2021 à janvier 2022, Wawa et Chef Unyagi Ndikpa, des chefs locaux de Zaïre, ont reçu un pourcentage de l’or produit sur un site minier semi-industriel situé sur la rivière Shari, dans le groupement Ndikpa, à l’est de Mongbwalu », lit-on.
Cet or, précisent les experts, était remis par la Coopérative minière des orpailleurs de l’Ituri (COMOI), une coopérative congolaise travaillant avec une société minière semi-industrielle, qui creusait la terre, broyait les roches et draguait la rivière Shari pour en extraire l’or. Des membres des FARDC gardaient le site. Ni COMOI ni la société semi-industrielle n’ont déclaré une quelconque production d’or sur le territoire de Djugu en 2021, selon les statistiques officielles examinées par le Groupe d’experts.
Factions de la Coopérative pour le développement du Congo
En plus des conclusions de l’étude de cas portant sur Mongbwalu, le Groupe d’experts a constaté que des factions de la CODECO ciblaient des négociants en or et des orpailleurs pour générer des revenus. À titre d’exemple, en janvier 2022, un propriétaire de site minier à Mbau, à environ 20 kilomètres au sud de Mongbwalu, a été contraint de remettre 2 grammes d’or à des combattants de l’URDPC/CODECO sous peine d’être tué. En mars 2022, à Nderembi (territoire d’Irumu), à 17 kilomètres au nord-ouest de Bunia, des éléments armés décrits comme appartenant à « FPIC-CODECO » ont attaqué un véhicule civil accompagné par un membre des FARDC, qui était utilisé pour transporter de l’or. Une quantité inconnue d’or a été dérobée. Un ressortissant chinois qui voyageait avec l’or a été tué par balles et un autre blessé.
Le 24 novembre 2021, l’URDPC/CODECO a attaqué une mine d’or près de Damblo, à 10 kilomètres à l’est de Mongbwalu, et volé de l’or. Les combattants ont pris en otage huit ressortissants chinois travaillant pour la coopérative congolaise SOCOMIDI. Deux autres ressortissants Chinois ont été tués, ainsi qu’un membre des FARDC qui gardait leur site. L’URDPC/CODECO a exigé une rançon en échange de la libération des otages. Des négociants en or ont également été pris pour cible en 2021 et 2022, notamment sur le territoire de Djugu. En février 2021, un vendeur d’or se trouvant près de Mongbwalu a été contraint de remettre 500 dollars à des combattants de la CODECO qui ont menacé de le prendre en otage s’il n’obtempérait pas.
Mongbwalu, no man’s land
Entre la fin de 2021 et mars 2022, des combattants de l’URDPC/CODECO, de Bon Temple et de Zaïre ont renforcé leur contrôle sur les mines d’or autour de Mongbwalu, principal centre de production et de négoce d’or du territoire de Djugu, et en ont exploité l’or. Au cours de cette période, les attaques contre des civils et des positions des FARDC se sont intensifiées, tout comme les affrontements entre des factions de la CODECO et Zaïre à Mongbwalu. L’objectif était, en partie, de prendre le contrôle des sites à forte valeur économique.
Comme ils l’ont fait dans d’autres localités du territoire de Djugu, Zaïre et les factions de la CODECO ont, chacun pour leur propre compte, taxé et pillé des négociants en or et des hommes d’affaires à Mongbwalu, ainsi que des civils. En mars 2022, les mines de Mongbwalu et des environs étaient globalement réparties en deux zones de contrôle approximatives.
Lors d’affrontements survenus le 3 décembre 2021 à Mongbwalu et dans des centres miniers environnants, des combattants de l’URDPC/CODECO ont attaqué la commune de Mongbwalu, tué des civils, pillé des comptoirs d’achat d’or et renforcé leur présence dans le quartier de Saio, un centre minier. Le 4 décembre 2021, Zaïre a répliqué et est entré dans Pluto, un centre majeur de négoce de l’or à 7 kilomètres au nord de Mongbwalu, y établissant une forte présence. L’opération menée par Zaïre a notamment consisté à établir une base stratégique dans l’hôtel d’un négociant en or local. Des membres de Zaïre ont extrait de l’or dans les mines de Pluto, qu’ils ont vendu à Bunia. Par ailleurs, certains combattants de Zaïre qui avaient violemment manifesté dans la ville de Mongbwalu le 16 décembre 2021 se seraient établis dans la ville, y compris dans certaines mines.
L’or de Mongbwalu a été acheté par des acheteurs locaux, notamment par la Coopérative minière Ndele et Frères (COMINDEV), appartenant à Ndele Bachebandey, comme indiqué précédemment, et vendu clandestinement à des négociants de Bunia, de Butembo et de l’Ouganda. Le Groupe d’experts a tenté de contacter Ndele Bachebandey, qui n’a pas répondu. La production d’or officiellement déclarée à Mongbwalu pour 2021 s’est chiffrée à 406,28 grammes, alors que la production non déclarée pouvait atteindre 120 grammes par semaine dans une seule mine et que la ville en comptait plus de 40.
Comme indiqué précédemment, des membres des FARDC et de la Police nationale congolaise déployés à Mongbwalu se sont également livrés à l’extraction illégale d’or et à la taxation des creuseurs, opérant à côté de combattants des groupes armés. Depuis au moins décembre 2021, des membres des 13011e et 13012e bataillons du 1301e régiment des FARDC, sous le commandement du colonel Charles Muhinda Santos, ont reçu entre 30 % et 50 % de l’or extrait par les creuseurs artisanaux dans certaines mines de la concession minière PE5105. Des membres des FARDC étaient stationnés autour de la concession minièr. Le colonel Santos a déclaré au Groupe d’experts qu’aucun membre des FARDC n’était présent dans les mines de Mongbwalu et que les FARDC ne recevaient pas d’or provenant de l’exploitation de ces mines.