Un rapport confidentiel du Conseil de sécurité de l’ONU, consulté par Bloomberg, alerte sur un vaste réseau de pillage et de blanchiment de minerais issus de la République Démocratique du Congo (RDC), accusant le Rwanda de servir de plateforme de réexportation frauduleuse.
Selon ce document attendu dans les jours à venir, le commerce illégal de l’étain, du tantale et du tungstène alimente les chaînes d’approvisionnement mondiales tout en contournant les mécanismes internationaux de traçabilité mis en place pour lutter contre les minerais de conflit.
Des minerais congolais reconditionnés comme «rwandais »
Le rapport révèle que des minerais extraits illégalement en RDC sont transférés au Rwanda, où ils sont mélangés à la production locale, puis exportés sous l’étiquette « origine rwandaise ». Cette pratique revient à « blanchir » les minerais pillés, compromettant la crédibilité des systèmes de certification, tels que l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) et les normes de l’OCDE.
« Ce procédé met en péril la crédibilité des systèmes de certification mis en place pour lutter contre le commerce des minerais de conflit », souligne le rapport.
Un contexte politique sous tension
Cette révélation intervient quelques jours après la signature à Washington d’un accord de paix entre la RDC et le Rwanda, sous médiation américaine. Le texte prévoit une cessation des hostilités, la fin du soutien aux groupes armés – dont le M23 – et une coopération économique bilatérale, avec l’appui des investissements américains.
Cependant, les experts de l’ONU mettent en doute la sincérité de ces engagements, soulignant que le Rwanda maintiendrait une présence militaire significative en territoire congolais, même après la signature de l’accord.
Le rapport estime qu’environ 6 000 soldats rwandais opéraient aux côtés du M23 à son apogée, un chiffre redescendu à 1 000 – 1 500 hommes fin avril, bien que « plusieurs milliers » restent stationnés à la frontière.
Occupation militaire et répression documentées
Les experts onusiens dénoncent une stratégie d’occupation du territoire congolais, appuyée par des moyens militaires sophistiqués – drones armés, systèmes de défense aérienne, brouilleurs –, en violation des sanctions internationales.
Ils documentent également des exactions graves dans les zones contrôlées par le M23 : exécutions extrajudiciaires, détentions arbitraires, actes de torture, disparitions forcées et incursions dans des hôpitaux.
Un enjeu économique stratégique : le contrôle du tantale
L’objectif, selon le rapport, serait de contrôler les ressources minières congolaises, notamment le tantale, métal stratégique utilisé dans l’industrie électronique. La RDC et le Rwanda représenteraient ensemble environ 60 % de la production mondiale, selon l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS).
Face à ces accusations, le Rwanda réfute en bloc. Sa porte-parole, Yolande Makolo, affirme que le rapport « déforme les préoccupations sécuritaires de longue date du Rwanda », et assure que le secteur minier rwandais est « réglementé et formalisé », avec des investissements dans la transformation locale.
Les chiffres officiels remis en cause
Les experts de l’ONU demeurent sceptiques. Ils estiment que les statistiques officielles rwandaises – mentionnant une production de 8 000 à 9 000 tonnes par an de tantale, étain et tungstène – sont incohérentes avec les données du bureau national des statistiques du Rwanda, ainsi que d’analyses géologiques indépendantes.
Ce rapport ravive le débat sur la nécessité d’un encadrement rigoureux du commerce des minerais dans la région des Grands Lacs. Il plaide pour un renforcement des mécanismes de traçabilité et une coopération régionale effective, afin de prévenir le financement des conflits armés par l’exploitation illégale des ressources naturelles.
Pierre Kabakila