Le 1er mai, les autorités militaires de Bukavu ont fièrement présenté les résultats d’une opération d’envergure. Sur une table en plastique, une demi-douzaine de lingots d’or semi-raffinés, ainsi que des piles de dollars américains et de francs congolais, étaient posés devant les fonctionnaires. Ces objets, d’une valeur de plus de 2 millions de dollars, auraient été saisis lors d’un trafic illégal impliquant les chefs des services provinciaux de renseignement et d’immigration, ainsi qu’un conseiller du gouverneur. Selon le porte-parole de l’armée, le général Sylvain Ekenge, ce réseau criminel faisait passer des minerais au Rwanda voisin.
Les billets de banque sales et les lingots d’or bruts disposés sur la table sont emblématiques d’évolutions plus larges qui attirent des responsables gouvernementaux à Kinshasa, Kampala, Kigali et Abu Dhabi et qui sont liées à l’escalade du M23.
Au cours des dernières années, le commerce de l’or connaît un essor inédit au cœur de l’économie dans l’est de la RDC. Cela s’explique en grande partie par l’évolution de son prix sur le marché international : à 65 000 dollars le kilo, son prix a connu une augmentation de 40 % au cours de cinq dernières années atteignant presque un niveau record, en raison de l’incertitude financière mondiale et de la demande d’articles de luxe. L’or est particulièrement recherché dans l’est de la RDC : il est extrêmement facile de le faire passer en contrebande à travers les frontières et les postes de contrôle, qualités importantes dans l’économie souterraine.
Cette valeur a mis l’or dans une place importante dans la compétition géopolitique entre l’Ouganda, le Rwanda et la RDC. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : En 2022, le FMI prévoit que le Rwanda expédie pour 654 millions de dollars d’or, soit plus du double de ses exportations en 2019. L’Ouganda a exporté pour 2,25 milliards de dollars d’or au cours de son année fiscale 2020-21, selon le dernier rapport annuel disponible de la Banque d’Ouganda. Les experts s’accordent à dire que la quasi-totalité de cet or provient de la RDC qui n’a, en revanche, exporté moins de 2 millions de dollars d’or artisanal en 2021 (ce chiffre exclut l’extraction industrielle).
Réfléchissez-y un instant : même avant la résurgence de la rébellion du M23 en novembre 2021, le principal produit d’exportation du Rwanda était l’or, qui est passé de 1 % de ses exportations en 2014 à 47 % en 2020. En Ouganda, nous pouvons observer une tendance similaire, culminant en 2021, lorsque l’or représentait 56 % de ses exportations. Cette évolution est frappante. S’il est vrai que le Rwanda et l’Ouganda exportent du minerai congolais depuis de nombreuses années, celui-ci n’a jamais représenté une part aussi importante de leurs exportations officielles. À titre de comparaison, le précédent pic des exportations de minerais (en part des exportations totales) remonte à 2001, lors du fameux boom du coltan et alors que l’est du Congo était sous occupation militaire rwandaise – les minerais représentaient alors 41 % des exportations et étaient évalués à seulement 40 millions de dollars.
Quel est le lien entre tout cela et l’émergence du M23 ?
Il est clair que l’est du Congo est considéré comme un lieu de compétition géopolitique pour l’Ouganda et le Rwanda. Comme le Groupe d’étude sur le Congo et Ebuteli l’ont déjà signalé, la réapparition du M23 était initialement liée à la rivalité entre Kampala et Kigali – lorsque l’armée ougandaise a lancé l’opération Shujaa, qui était associée à des projets routiers et miniers, en novembre 2021, le Rwanda y a vu une menace économique et sécuritaire. Des troupes ougandaises et des engins de construction de routes ont été déployés jusqu’à Bunagana, à quelques encablures de la frontière rwandaise.
Mais la compétition pour l’or a précédé. En novembre 2020, Dott Services, une société ougandaise proche du président Museveni, a signé un contrat avec la société minière publique congolaise Sakima pour d’importants sites miniers dans la province du Maniema, riches en étain, en tantale et en tungstène, ainsi qu’en or. Le contrat prévoyait également la création d’une usine de traitement des minerais et des métaux précieux. Peu de temps après, fin juin 2021, une série de contrats miniers ont également été signés entre le Rwanda et le Congo, stipulant que l’or produit par Sakima sera raffiné au Rwanda par la société locale relativement inconnue Dither Ltd, proche de la présidence rwandaise (elle est dirigée par Jean Paul Rutagarama, un homme d’affaires proche de Kagame qui opère également au Mozambique).
Mais quelque chose a changé à la fin de l’année 2021 pour ébranler ces relations. L’explication la plus probable est que les opérations militaires ougandaises ont secoué le gouvernement rwandais, le conduisant à soutenir le M23 à la fin de l’année. Cela n’a pas aidé que fin décembre 2021, suite à des manifestations, le Congo est revenu sur la création d’une cellule de police conjointe à Goma pour travailler avec le Rwanda sur des opérations de lutte contre le terrorisme. Ensuite, l’offensive du M23 a conduit Tshisekedi à reconsidérer son alliance avec le Rwanda, ainsi que le choix de ses conseillers. En février 2022, le conseiller à la sécurité nationale de Tshisekedi, François Beya, qui avait été un interlocuteur clé de Kigali, est arrêté ; en janvier 2023, Fortunat Biselele, qui avait joué un rôle déterminant dans la mise en place de partenariats économiques avec le Rwanda, est également mis derrière les barreaux. En mai 2022, le gouvernement a annulé les vols de Rwandair vers le Congo ; d’autres contrats, y compris celui avec Dither, ont également été suspendus.
Enfin, en septembre 2022, le gouvernement congolais a signé un accord sur l’or pour tenter d’endiguer la contrebande d’or vers les pays voisins. Un engagement a été signé entre Primera Gold Ltd, une entreprise basée à Abu Dhabi, pour construire une raffinerie à Bukavu qui serait « capable de capturer toute la production artisanale ». Le ministre des finances, Nicolas Kazadi, a déclaré que cette nouvelle entreprise permettrait au gouvernement de lutter contre la contrebande qui profite au Rwanda. Selon le ministre, au cours des trois premiers mois de l’année, Primera a exporté 354 kilogrammes d’or, d’une valeur d’environ 23 millions de dollars.
En privé, les bailleurs de fonds, du président Français au département d’État américain en passant par l’Union européenne, soutiennent que la meilleure façon de trouver une solution au conflit du M23 est de trouver un moyen de répondre aux intérêts économiques des trois gouvernements. Cette approche est en partie un symptôme de leur déception à l’égard du gouvernement congolais – qui a dépensé une somme d’argent sans précédent pour l’offensive militaire contre le M23, mais avec des résultats négligeables – et de la réticence des principaux donateurs à sanctionner le gouvernement rwandais, pour toute une série de raisons.
Une telle stratégie des « dividendes de la paix » – « tout le monde se portera mieux s’il y a la paix », comme me l’a dit un diplomate – sera difficile à mettre en œuvre. Une partie de la campagne électorale de Tshisekedi va probablement consister à blâmer le gouvernement rwandais pour le conflit à l’Est. En outre, il est difficile d’imaginer que ce type d’arrangement puisse être vendu au public congolais révolté par des décennies de profit sur ses ressources naturelles. Il sera également difficile d’envisager comment le Congo pourrait augmenter sa production d’or sans que le Rwanda et l’Ouganda ne perdent le bénéfice de ce commerce lucratif. En effet, il se peut que la paix ne profite pas à tout le monde.
Par Jason Stearns, directeur du Groupe d’étude sur le Congo, partenaire de l’institut Ebuteli.