Avec 1,3 milliard USD de recettes en 2024, la Gécamines SA, entreprise publique minière de référence en RDC, aurait pu impulser un nouveau souffle de développement dans les territoires miniers. Mais la réalité est toute autre : entre dépenses opaques, projets déconnectés de l’objet social, conflits d’intérêts flagrants et mépris des obligations légales, le tableau dressé par la mission parlementaire de mai 2025 est accablant. Cette quatrième et dernière partie de notre série révèle l’ampleur du gâchis financier et propose des pistes de refondation pour sauver ce pilier stratégique.
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Gécamines SA : une entreprise stratégique en faillite programmée ?
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Opacité, conflits d’intérêts et désobéissance : la Gécamines SA dans la tourmente
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Gécamines SA : coupée de sa base, l’entreprise abandonne ses agents et ses communautés
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Une manne colossale… évaporée
Selon les données de la mission parlementaire dépêchée du 16 au 23 mai 2025 à Lubumbashi et Kipushi, la Gécamines a généré près de 1,3 milliard USD en 2024. Mais ces recettes, issues pour la plupart des contrats de participation, n’ont pas été investies dans la relance industrielle ni dans les obligations sociales.
Le rapport note que les budgets 2022 à 2025 ont tous été adoptés en retard, empêchant tout encadrement rigoureux des dépenses. Résultat : des dérives budgétaires, comme les 59 millions USD dépensés par la Direction Générale entre janvier et août 2024 en frais de fonctionnement, soit plus que l’ensemble de la masse salariale annuelle des agents (46 millions USD).
Des dépenses controversées et des pertes abyssales
Plutôt que d’investir dans la réhabilitation des unités de production ou la revalorisation des travailleurs, la direction a préféré des projets coûteux et éloignés de son mandat :
- Achat d’une minoterie à 125 millions USD, sans lien direct avec le secteur minier ;
- Réhabilitation de tours jumelles à Kinshasa pour 43 millions USD, loin des préoccupations opérationnelles à Lubumbashi.
Le fiasco du traitement à façon (TAF) illustre le désastre industriel : 58 millions USD investis pour seulement 10,6 millions USD de chiffre d’affaires, soit une perte nette de 47,4 millions USD en 2024.
L’obligation sociale, encore trahie
Malgré ses recettes records, la Gécamines ne respecte toujours pas ses engagements sociaux prévus par le Code minier :
- 0,3 % minimum du chiffre d’affaires pour le développement local,
- Redevance minière au bénéfice des entités territoriales.
Le cahier des charges au profit des communautés impactées par les projets miniers.
Rien n’a été versé. À Kipushi, Lubumbashi, les communautés ne voient ni écoles, ni hôpitaux, ni routes. Le fossé se creuse. La colère monte.
« Des milliards dans les chiffres, zéro dans nos vies », résume un habitant de Lubumbashi.
Confusion financière et conflits d’intérêts
Le rapport dénonce une gouvernance minée par l’opacité :
Le contrat CuCo/302/2024, signé sans permis préalable avec une coopérative artisanale, viole les instructions ministérielles de mars 2024.
Le Directeur Général Placide Nkala est mis en cause dans plusieurs contrats, notamment avec Malabar Business, une société à laquelle il serait personnellement lié, et qui détient des marchés vitaux : hébergement, transport, logistique.
Des administrateurs sont impliqués dans des entreprises sous-traitantes comme STL, SIMCO, ZTS, posant de graves problèmes de conflits d’intérêts.
L’omniprésence de l’Inspection Générale des Finances (IGF) n’a, à ce jour, pas freiné ces pratiques.
Vers une refondation ou l’implosion ?
Le rapport de la mission parlementaire est sans appel. Il recommande :
- L’interpellation voire la suspension de la Direction Générale pour répondre des irrégularités,
- Un audit externe complet,
- L’annulation des contrats non rentables et la diversification de la sous-traitance,
- La mise à jour des statuts et de l’organigramme,
- Le respect intégral des obligations sociales, en commençant par le reversement des 0,3 % minimum aux communautés.
« La Gécamines n’est pas une caisse noire, c’est une entreprise publique stratégique », martèle le député Jhon Kabeya Mbonda, président de la mission.
Une entreprise à reconquérir
Le cycle d’enquêtes de mines.cd met en lumière une entreprise en déconnexion totale avec sa mission. De l’opacité à l’abandon des communautés, en passant par des choix financiers suicidaires, la Gécamines n’est plus qu’un géant aux pieds d’argile.
Mais il est encore temps. L’argent est là. Les hommes sont là. Ce qui manque, c’est la volonté de rompre avec les dérives du passé et d’engager une refondation courageuse. Le Haut-Katanga, le Lualaba, bref, la RDC toute entière, ne peuvent plus attendre. Ça doit changer, et c’est maintenant ou jamais !
La Rédaction | mines.cd