Au total 146 organisations de la société civile ont exprimé lundi 17 avril, leur grande préoccupation au sujet des procédures judiciaires intentées en République démocratique du Congo par l’homme d’affaires israélien Dan Gertler contre la coalition congolaise anti-corruption, le Congo n’est pas à Vendre (CNPAV).
La poursuite pénale – citation directe – intentée début mars 2023, cible principalement le porte-parole du CNPAV, Jean-Claude Mputu, et son employeur Resource Matters, un groupe de la société civile belge et membre de la coalition de la CNPAV. L’affaire est basée sur une interview que Jean-Claude Mputu a livré à média congolais « sur le montant d’argent que les entreprises de Gertler avaient gagné en République démocratique du Congo ». La coalition CNPAV avait, à cet effet, publié des informations pour étincer sa demande, mais Dan Gertler l’a poursuivi pour diffamation et demande un million d’euros de dommages-intérêts.
« Gertler et son réseau ont lancé une vague de poursuites contre des militants de la lutte contre la corruption, des lanceurs d’alerte, des journalistes et des groupes de la société civile au cours des deux dernières années. Il s’agit notamment d’actions en justice contre deux autres membres de la CNPAV – The Platform to Protect Whistleblowers in Africa (PPLAAF) et Global Witness – ainsi que contre le site Web spécialisé African Intelligence, le journal israélien Haaretz et deux de ses journalistes », a indiqué Rights and Accountability in Development Limited (RAID), un organisme de bienfaisance enregistré en Angleterre et au Pays de Galles.
Cet organisme britannique a également épinglé le fait que deux lanceurs d’alerte employés à l’Afriland First Bank à Kinshasa qui ont exposé « des allégations de blanchiment d’argent apparent au profit de Gertler » ont également fait l’objet de poursuites judiciaires. Dans le cadre d’un processus juridique en République démocratique du Congo, les deux lanceurs d’alerte ont été condamnés à mort par contumace. Les allégations de blanchiment d’argent qu’ils ont signalées « n’ont pas fait l’objet d’une enquête ».
« Les poursuites contre les membres de la CNPAV sont les dernières d’un déluge d’affaires portées par Dan Gertler et son réseau contre ceux qui soulèvent légitimement des questions de transparence et de responsabilité sur les marchés publics […] Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait que les défenseurs et les organisations de lutte contre la corruption sont ciblés, menacés, intimidés et harcelés simplement pour avoir fait leur travail. Une telle intimidation peut décourager les autres de travailler pour tenir les autorités et les acteurs privés en justice », ont conjointement déclaré ces organisations.
Un règlement à l’amiable entre la RDC et Gertler
En février 2022, un accord de règlement « litigieux » entre Dan Gertler et les autorités de la République démocratique du Congo a été signé entre les deux camps et a donné lieu à un vaste débat public. Selon RAID, ce règlement stipule que Dan Gertler revendra une partie de ses actifs pétroliers et miniers à l’État congolais et permet à son entreprise de conserver le droit de collecter de précieux flux de redevances sur trois mines de cuivre-cobalt pendant les quinze prochaines années.
« Le règlement protège également Gertler et son réseau des enquêtes judiciaires en RDC », a ajouté la même source.
En même temps, l’accord engage en outre le gouvernement congolais à « aider » les efforts de l’homme d’affaires israélien pour que les sanctions anticorruption américaines à son encontre soient levées. Depuis 6 ans, Dan Gertler et des dizaines d’entreprises liées ont été sanctionnées par le gouvernement américain en vertu de la Global Magnitsky Human Rights Accountability Act.
Le communiqué de presse annonçant les sanctions contre Gertler indiquait qu’il avait « accumulé sa fortune grâce à des centaines de millions de dollars d’accords miniers et pétroliers opaques et corrompus » en République démocratique du Congo.
A la suite des sanctions initiales en 2017, les États-Unis ont sanctionné 14 autres entreprises affiliées à Dan Gertler en juin 2018, et 12 autres en décembre 2021. L’israélien a demandé à plusieurs reprises un allègement des sanctions et a nié tout acte répréhensible.
Les confrontations entre Gertler et les organisations de la société civile
Le 07 février dernier, Dan Gertler écrivait à l’organisation le CNPAV et à un groupe d’organisations non gouvernementales de premier plan, en déclarant que les sanctions américaines avaient été « paralysantes » et qu’il avait « été puni ». Il a exhorté ces organisations à soutenir le nouvel accord qui, selon lui, était « le plus grand transfert consensuel jamais le temps dans l’histoire de la région ».
Dans une réponse publiée le 15 mars dernier, les organisations de la société civile ont conjointement déclaré qu’elles ne pouvaient pas « soutenir cet accord, car trop de questions en suspens demeurent sur sa substance, y compris le manque de transparence sur les droits de redevance lucratifs que Dan Gertler conserverait ».
Précédemment, une autre lettre distincte datant du 08 mars, une coalition de 25 groupes de la société civile, dont le CNPAV, a exhorté l’administration américaine à ne pas assouplir les sanctions contre Dan Gertler en l’absence de mesures de responsabilisation appropriées et d’un changement de comportement démontrable en son nom.
Les organisations ont déclaré qu’elles étaient extrêmement préoccupées par le fait que les poursuites contre Jean-Claude Mputu et Resource Matters sont des poursuites stratégiques contre la participation du public ou les SLAPP. Les SLAPP sont une forme de harcèlement juridique utilisée par ceux qui ont des poches profondes qui cherchent à faire taire les militants, les journalistes et d’autres chiens de garde publics par le biais d’intimidations juridiques et de procédures judiciaires coûteuses, a expliqué l’organisation britannique RAID.
« La bonne gestion des ressources naturelles abondantes du Congo repose sur la transparence, la responsabilité et l’examen du public pour s’assurer que le peuple congolais en récolte vraiment les bénéfices. La protection des droits de ceux qui soulèvent des questions légitimes relève de la responsabilité des autorités congolaises et est essentielle pour parvenir à la responsabilisation et à l’État de droit. Ce ne sont que les corrompus et les puissants qui en bénéficient lorsque les voix des journalistes et des défenseurs de la lutte contre la corruption sont réduites au silence », déclarait conjointement ces organisations de la société civile.
Suspension des poursuites contre les organisations de la société civile et les médias
Récemment l’homme d’affaires israélien Dan Gertler annonçait une procédure judiciaire contre Jean-Claude Mputu et Resource Matters pour « imputations dommageables » – semblables à la diffamation – au Tribunal de Paix de Gombe à Kinshasa. De ce fait, la prochaine audience de cette affaire est prévue pour le 03 juillet prochain.
A la surprise générale, le 13 avril dernier, Dan Gertler a envoyé une lettre à un certain nombre de groupes de défense des droits de l’homme et de lutte contre la corruption déclarant qu’il suspendrait certaines des poursuites qu’il avait engagées contre les organisations de la société civile et les médias, sans préciser lesquelles.
« Compte tenu des multiples poursuites intentées par Gertler, nous attendons des éclaircissements supplémentaires pour confirmer les mesures concrètes que lui et son réseau ont prises pour mettre fin à la procédure de style SLAPP. D’après ce que nous comprenons, aucun des procès n’a été retiré à ce jour », a expliqué Rights and Accountability in Development Limited (RAID).
Monge Junior Diama