Le protocole d’entente sur les chaînes de valeur entre l’Union Européenne (UE) et le Rwanda continue de susciter de vives critiques huit mois après la signature conclue entre les deux parties. Dans une interview exclusive à Mines.cd, le Député européen Thierry Mariani a dénoncé l’opacité autour de cet accord, notamment au niveau de la traçabilité des minerais critiques.
Au sein de l’UE, des voix s’élèvent contre la signature d’un accord avec le Rwanda sur la promotion et le développement des minerais critiques. Thierry Mariani déclare que cet accord ne garantissait aucune traçabilité de minerais critiques sur lesquels l’UE et le Rwanda comptent s’appuyer. « En me remettant cet accord pour la première fois, si vous le lisez il y a deux paragraphes qui sont clés, notamment en haut de la page. On comprends en réalité que ce sont les rwandais qui doivent fournir l’accord de bonne conduite, les données sur l’origine des matériaux critiques sur lesquels peuvent exister certaines doutes », a-t-il souligné. En effet, l’accord prévoit qu’en cas de contrebande, « on demande en clair à ceux gens qui ont illégalement eu les produits de les ramener au pays d’origine », a-t-il précisé.
« Un pillage systématique »
Huit mois plus tôt, la République Démocratique du Congo (RDC) avait condamné le rapprochement entre l’UE et le Rwanda. Le pays de Paul Kagame est accusé d’entretenir la guerre dans la partie Est du pays pour le pillage des minerais de transition tels que le coltan, dont il est un des plus grands producteurs, sans en posséder sur son sol.
Dans un communiqué, le Gouvernement congolais avait fait part de ses craintes par rapport à la signature de ce protocole d’entente, que cela puisse « accentuer l’exploitation illicite des richesses naturelles du Congo » par le Rwanda dont la prospérité est fondée sur des « activités criminelles » et de lui donner davantage « les moyens d’agresser » la RDC à travers des groupes armés terroristes tels que le Mouvement rebelle du 23 mars « M23 ».
« L’UE applique une politique de double standards : on adore les grands principes mais on ne les applique qu’à certains, pas aux autres », a estimé Mariani. Selon lui, l’accord signé ne fera qu’entretenir le « pillage systématique » des ressources naturelles congolaises, avec une guerre qui a déjà coûté la vie à des millions de personnes. « J’ai retrouvé un article. Selon le Tresor américain, plus de 99% de l’or produit en RDC passerait ainsi en contrebande par les pays voisins, notamment le Rwanda et l’Ouganda. Il est évident que cette guerre entretenue artificiellement par des forces extérieures de la RDC favorise notamment la contrebande et les pillages puis empêche les investisseurs de venir au pays », a-t-il révélé.
« Aucune clarification fournie »
Lorsque cet accord avait été annoncé en février dernier, l’opinion publique congolaise avait appelé la RDC a reconsidérer ses relations avec les partenaires de l’UE. La RDC avait alors demandé à l’UE de lui fournir « des clarifications » sur la traçabilité des minerais. L’UE n’a jamais répondu.
À cet effet, Thierry Mariani propose la création d’une commission tripartite pour bien tracer la provenance des minerais. « Je sais que le Président Tshisekedi a fait un certain nombre de demandes au niveau de la traçabilité. À mon avis, il faut qu’on mette en place une commission tripartite c’est-à-dire que les représentants de la RDC, du Rwanda et de l’UE devraient vérifier la traçabilité parce qu’on sait bien que chacun accusera l’autre. Et pour ne pas en arriver là, il faut un partenariat en invitant les experts et non les politiques », a suggéré Mariani.
À cause de la guerre interminable dans l’Est de la RDC, des tonnes de minerais transitent illégalement vers le Rwanda et l’Ouganda pour se vendre sur les marchés internationaux. La crainte pour la RDC, est que cet accord favorise davantage la contrebande minière dans cette région, car le Rwanda ne possède aucun minerais de transition.
Saïbe Kabila et O. Mukinzi