Jadis fleuron de l’industrie minière congolaise, la Gécamines SA tangue dangereusement sous le poids de ses errements managériaux, de sa gouvernance opaque et d’investissements controversés. Un rapport parlementaire accablant, issu d’une mission d’enquête menée du 16 au 23 mai 2025 à Lubumbashi et Kipushi, brosse le portrait d’une entreprise stratégique en perte totale de repères.
Placée depuis des décennies au cœur du tissu économique national, la Générale des Carrières et des Mines semble désormais fonctionner en roue libre. La mission parlementaire, conduite par le député John Kabeya Mbonda, dénonce une série de dérives jugées « sans précédent », et pointe nommément les responsabilités du directeur général, Placide Nkala.
Quand le cuivre s’effondre
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : alors qu’elle produisait encore 25 000 tonnes de cuivre et 300 tonnes de cobalt en 2019, la Gécamines n’a extrait que 1 500 tonnes de cuivre en 2024. Quant au cobalt, métal roi de la transition énergétique, la production est tout bonnement tombée à zéro.
Cette chute vertigineuse intervient paradoxalement dans un contexte de revenus records : 1,3 milliard de dollars générés en 2024 via des contrats de participation, notamment avec Kamoa Copper ou Sicomines. De quoi faire grincer des dents sur l’usage réel de ces ressources, d’autant que le budget d’investissement demeure à la traîne, sans stratégie claire.
Investissements hors-sol, gestion à distance
Plutôt que de moderniser ses outils de production, la direction générale a préféré miser sur des projets jugés hors de propos par les parlementaires : 125 millions USD pour une minoterie, 43 millions pour la réhabilitation de deux tours jumelles à Lubumbashi. Résultat : une entreprise désorientée, coupée de sa mission de production minière, et minée par une gouvernance à distance.
Placide Nkala, selon les députés, ne séjourne que sporadiquement à Lubumbashi. Sa gestion « par téléphone », sans pilotage opérationnel, est décrite comme « autocratique et désarticulée ».
Remblais miniers et désobéissance réglementaire
Autre point noir : la vente illégale de remblais miniers. En dépit d’une interdiction formelle émise par le Conseil des ministres le 15 mars 2024, la Gécamines a signé, le 3 septembre suivant, un contrat avec une coopérative artisanale pour céder les remblais du site GH-Kn-50 à Kolwezi. Pour les députés, il s’agit d’une violation manifeste des instructions gouvernementales, révélatrice d’un mépris des normes et de l’autorité de l’État.
Conflits d’intérêts et soupçons de détournements
Le rapport n’élude pas les soupçons de conflits d’intérêts au sein du comité de gestion, où certains cadres détiendraient des parts dans des entreprises partenaires, telles que SIMCO ou STL. Déjà, en octobre 2023, Africa Intelligence révélait que plus de 10 millions USD auraient été détournés par une trentaine de cadres, une enquête toujours en cours.
Ajouté à cela, un climat de tension permanente règne en interne, entre directions opposées, dans une ambiance de guerre de tranchées.
Des populations oubliées, un personnel sacrifié
Pendant ce temps, les communautés riveraines n’ont pas vu la couleur des 0,3 % minimum du chiffre d’affaires censés leur être reversés au titre de la redevance minière. Le Fonds minier pour les générations futures reste, lui aussi, lettre morte. Du côté du personnel, plus de 2 000 agents attendent une mise à la retraite bloquée par une dette de 120 millions USD envers la CNSS, et les « vacanteurs » ne perçoivent rien.
La tension salariale dépasse les 400 % entre cadres et agents d’exécution, alors que le coût de fonctionnement mensuel atteint 30 millions USD. Une bombe sociale à retardement.
Appel à la réforme d’urgence
Face à cette déroute, la mission parlementaire formule plusieurs recommandations : suspension immédiate de la direction actuelle, audit externe de la gestion, réforme des statuts de l’entreprise, redéploiement des cadres sur le terrain et recentrage sur les activités minières. Un plan de redressement, digne de ce nom, reste à concevoir.
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Gécamines SA : une entreprise stratégique en faillite programmée ?
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Si quelques réussites récentes — comme la relance de Kipushi avec Ivanhoe Mines ou l’exportation de germanium via STL — peuvent faire illusion, elles ne sauraient masquer la crise systémique qui ronge le poumon historique de l’économie congolaise.
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La Gécamines peut-elle encore renaître de ses cendres ? La question reste ouverte. Mais une chose est sûre : sans rupture managériale, sans transparence, et sans vision, l’entreprise court à la faillite programmée.
La Rédaction | mines.cd