Kolwezi, capitale mondiale du cobalt, s’éveille chaque matin sous un brouillard dense de poussières métalliques. Cette ville du Lualaba, au sud-est de la RDC, est au cœur des enjeux géopolitiques mondiaux : son cobalt alimente les batteries des voitures électriques et des smartphones. Pourtant, loin des bénéfices de cette ruée vers l’or bleu, des centaines de femmes, invisibles et vulnérables, sacrifient leur santé en lavant du cobalt brut dans des conditions précaires.
Dans les sites d’exploitation artisanale comme Musonoie, ces travailleuses manipulent quotidiennement des minerais toxiques, les pieds immergés dans une eau saturée de métaux lourds. Derrière chaque tamis secoué, chaque sac rempli, se cache un drame sanitaire méconnu : troubles menstruels, saignements anormaux, fausses couches et malformations congénitales sont devenus leur lot quotidien.
Un travail exténuant aux conséquences dramatiques

Dès l’aube, le site de Musonoie vibre au rythme des cris des vendeurs ambulants et du martèlement des outils des creuseurs. Tandis que les hommes descendent dans les galeries souterraines, les femmes s’activent autour des bassins de lavage. Joëlle Lunda, 58 ans, y travaille depuis plusieurs années. « Si je reste à la maison, mes enfants ne mangent pas », confie-t-elle, les mains rougies par l’eau acide.
Elle lave près de 200 kilos de minerais par jour pour seulement trois dollars. Chaque soir, sa peau brûle, ses mains sont fendillées. Mais abandonner n’est pas une option.
Depuis 2022, Joëlle souffre de douleurs abdominales aiguës. « Mes règles sont devenues irrégulières et très douloureuses. Parfois, elles durent plusieurs semaines », murmure-t-elle. Faute d’argent, elle se contente de médicaments vendus dans des pharmacies de fortune. Son mari, par honte ou ignorance, ne l’accompagne jamais à l’hôpital.
Un fléau sanitaire ignoré des autorités

À l’hôpital général de Dipeta, le Docteur Christine Mulaj tire la sonnette d’alarme : « Nous recevons de plus en plus de femmes du secteur minier avec des troubles gynécologiques sévères. Malheureusement, elles n’ont ni les moyens de consulter un spécialiste ni d’accéder à des traitements adéquats. »
Les analyses de l’Université de Lubumbashi confirment la présence de métaux lourds toxiques dans l’eau et l’air de Kolwezi. Selon un rapport conjoint de RAID et AFREWATCH (mars 2024), 56 % des riverains des sites miniers souffrent de troubles de la reproduction, y compris des fausses couches et des naissances prématurées.
Malgré ces chiffres accablants, les autorités tardent à agir. En avril 2024, la RDC a suspendu temporairement la production de la compagnie chinoise COMMUS pour non-respect des normes environnementales. Une sanction symbolique, selon Jean-Baptiste Kanku, militant écologiste : « Rien n’a changé sur le terrain. L’air est toujours irrespirable et l’eau polluée. »
Des enfants contaminés dès le plus jeune âge

Le drame ne s’arrête pas aux femmes. Faute de garderie, Yasina, 39 ans, amène sa fille de sept mois sur le site. « Elle a des boutons infectés sur les pieds, qui suintent un liquide jaune », raconte-t-elle en soulevant les jambes de l’enfant.
Plusieurs ONG dénoncent l’absence totale de mesures de protection des enfants. Mais les entreprises minières et le gouvernement se renvoient la responsabilité.
Survivre ou préserver sa santé : un choix impossible
« Si j’arrête de travailler, qui paiera les frais scolaires de mes enfants ? » s’interroge Joëlle. Comme elle, la plupart des laveuses n’ont aucune formation ni alternative professionnelle.
Certaines associations tentent de les sensibiliser aux dangers des métaux lourds et proposent des techniques de lavage moins nocives. Mais ces efforts restent marginaux face à la misère.
« Comment dire à une femme de ne pas travailler quand c’est la seule façon de nourrir ses enfants ? », s’interroge Claudine Mbuyi, coordinatrice d’une association locale.
Des promesses gouvernementales, mais toujours rien sur le terrain

En mai 2024, le gouvernement congolais a promis la création de zones minières artisanales sécurisées, avec des équipements de protection fournis. Mais aucune avancée concrète n’a été constatée.
Pendant ce temps, les batteries des voitures électriques continuent d’être produites, loin des souffrances invisibles des laveuses de Kolwezi.
« Nous voulons juste travailler sans mourir à petit feu », implore Joëlle Lunda, la voix brisée par la fatigue.
Qui paie réellement le prix de la transition énergétique ?
La RDC fournit 70 % du cobalt mondial, un métal essentiel à la transition énergétique. Pourtant, celles qui extraient ce précieux minerai subissent un calvaire quotidien, ignoré des décideurs et des consommateurs.
L’avenir de ces femmes reste incertain. Si aucune réforme concrète n’est appliquée, la transition énergétique continuera de se bâtir sur leur sacrifice silencieux.
Ce reportage s’inscrit dans le cadre de la transition énergétique sponsorisée par CJID (Centre pour le Journalisme International et le Développement) en collaboration avec Pin Africa.
Adrien Ambanengo